1777-11-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Ne soiez point l'ange exterminateur, soiez l'ange sauveur.
Secourez moi, vous qui daignez m'aimer depuis environ soixante et dix ans; et empêchez moi de mourir de douleur à quatre vingt quatre.

Tout ce que je demande c'est que Monsieur le Maréchal De Duras puisse lire Irène mise dans son cadre.

Souffrez que je vous envoie des emplâtres pour mettre un apareil à toutes les blessures d'Irène. J'ose suplier instamment la secrétaire aimable que vous avez élevée, de vouloir bien placer ces petits papiers que j'envoie. Il n'y a qu'à lire l'indication de chacun, ensuite on coupe avec des Ciseaux cette indication, et on met la correction avec quatre petits pains à cacheter, à la place convenable.

Par exemple, à l'acte second, on coupe le petit avertissement qui finit par Mettez ainsi; et on colle proprement les vers ajoutés, qui commencent par ces mots, au premier coup porté, et qui finissent par ces mots, de mes scrupules vains.

Quand on a pris ce petit soin, la pièce est en état d'être lue sans peine; les yeux du lecteur sont contents; il faut qu'ils le soient pour qu'on puisse bien juger.

Je ne suis pressé de rien, je veux seulement vous plaire, et à Monsieur le Maréchal de Duras. Après avoir goûté cette satisfaction, je mourrai consolé si cette pièce peut servir un jour à rétablir le seul spectacle qui fasse un véritable honneur à la France. C'est un malheur qu'il n'y ait aucun acteur qui s'y connaisse et qu'aucun d'eux, éxcepté Le Kain, ne sache mettre les nuances nécessaires dans ses rôles. Nous les avons fait sentir dans Ferney ces nuances, sans lesquelles tout est perdu.

Adieu, mon cher ange; c'est moi qui suis perdu si vous ne me soutenez pas.

NB: Voiez comme à la fin Irène demande deux fois pardon à Dieu de son suicide, et devinez quel éffet prodigieux un père respectable et tendre, et un amant désespéré, ont fait par leurs cris douloureux en arrosant de leurs larmes les mains d'Irêne, tandis qu'Irêne demande deux fois pardon à Dieu d'une voix mourante. Tout est froid à vôtre théâtre à côté de cette catastrophe.