[c. March 1725]
La première chose que j'ai faitte madame en arrivant à Paris a été d'aller trouver le seigneur du lieu où j'ai passé des jours si aimables; je luy ai fait selon ce que portoient mes instructions, le détail des embellissemens que vous faittes à votre terre, et lui ai exagéré le bonheur d'avoir une femme comme vous; mais quelque bien que je lui aie dit de sa femme et de sa maison, je ne crois pas qu'il vienne sitost les voir.
Il me paroit fort ocupé des afaires et des plaisirs qu'il a dans ce pays cy; je l'ai trouvé bau, brillant et paré comme un jeune petit maitre à bonne fortune; il m'a fait deux confidences qu'il ne vous a peutêtre pas encor écrittes. La première est que le marché de Tonneville est renoué, la seconde qui me fait baucoup de peine . . . . Voila tout ce que je sçai de vos afaires. Pour les miennes elles sont un peu plus mauvaises. J'ai perdu sans ressource mes deux mille livres de rentes viagères pour avoir trop tardé à en payer le fonds. Les afaires de ma famille commencent à tourner fort mal. Monsieur de Nicolaï n'a pas voulu me faire acorder de provision. Ainsi j'ai plus besoin que jamais de la philosofie dont je veux faire profession. Je vais regarder la fortune comme un avantage qui n'est nécessaire qu'aux gens remplis de désirs. Les richesses sont des emplâtres pour les blessures que nous font nos passions, mais un philosofe est un homme bien sain, qui n'a point besoin d'emplâtres. Je me mets donc dans la tête d'être heureux dans la pauvreté