1754-12-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Monsieur,

Votre lettre obligeante, et aussi remplie de bonté que d'esprit, me pénètre de reconnaissance et d'estime pour vous.
Je vous avoue que j'ay toujours trouvé dans les personnes de votre communion plus d'indulgence et de philosofie que dans celles de la mienne. Vos attentions prévenantes me sont d'autant plus sensibles qu'elles servent à me consoler des afflictions attachées à la condition humaine. Les médecins de Lyon m'avaient conseillé les eaux d'Aix en Savoye. J'ay passé par Genève et les médecins de ce pays là n'ont pas voulu que je hazardasse d'aller aux eaux dans une saison si rude. Je suis tombé à Prangin dans un état de langueur et de faiblesse qui me fait envisager une fin assez promte. Il faut l'attendre en philosofe, savoir soufrir, savoir mourir et faire cependant tout ce qu'il faut pour guérir. Si je pense résister à l'hiver, je me propose bien de venir voir Berne dans la belle saison et de remercier leurs Excellences, messieurs les avoyers de Steiger et de Tillers, de leurs bontez. Vous me fournissez, monsieur, une raison de plus de venir à Berne. Je regarde à présent parmi mes devoirs celui de vous rendre visite, et parmy mes plus chères consolations celle de profiter de la société d'un homme de votre mérite.

Puisque vous me faites l'honneur, monsieur, de me parler de son Excellence le seigneur avoyer de Steiger, oserai je vous prier de luy présenter mon respect, et de me faire la même faveur auprès de M. de Tillers, si vous le voyez.

Je ne puis vous exprimer avec quelle sensibilité et avec quelle reconnaissance j'ay l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire