à Prangin 15 Janvier 1755
Monsieur,
Il y avait au seiziéme siècle des barbares qui se joignirent à d'autres barbares, auteurs de la st Barthélemi.
On n'écrivait point alors au milieu des glaces du Mont Jura d'aussi jolies lettres que celle que je reçois de Bey. Il est très-vrai que je suis à Prangin, mais je n'y suis pas trop en crops et en âme, comme vous le dites: il n'y a guères que mon ombre: j'y suis accablé de maladies en attendant la saison des bains d'Aix. Il est vrai que quelques amis que j'ai dans ce pays-ci, m'ont inspiré le désir d'y finir mes jours. Les agréments de votre société achéveraient de me déterminer, si les souffrances continuelles que j'éprouve, pouvaient me laisser goûter encore les charmes de la société. Mon triste état m'empêche de vous écrire de ma main; mais il ne dérobe rien à l'estime que votre lettre m'inspire, ni au plaisir qu'elle m'a fait. Vous devez être un homme très-aimable, et c'est avec de tels Pasteurs qu'il me faudrait vivre et mourir. Je suis de tout mon cœur
Monsieur
Votre très-humble et très-obéissant serviteur
Voltaire