22 juillet [1769]
Ma chère amie mon indignation redouble chaque jour sur l'avanture des lettres et des derniers chapitres.
Comment n'avez vous pas remarqué que dans une de ces lettres il semble que le comte du Chatelet soit mon fils? Il était pourtant né avant que je connusse sa mère. Vraiment ce serait lâ le dernier coup dans les circomstances où la fortune se plait à me placer. Plus je réfléchis sur cette complication d'infidélités, et de dangers plus je me dis qu'il faut me taire car si je crie, On m'a volé, on m'a falsifié! Ah Ah, me répondra t'on, ces choses là sont donc de vous! Que faire donc encor une fois? Ne se plaindre de personne pour ne se point faire de nouvaux ennemis; mieux serrer ses papiers; condamner hautement des chapitres détestables aux quels il est impossible qu'un homme instruit et qui sait un peu écrire, ait la moindre part.
Peutêtre faudra t'il un jour engager doucement l'infidèle à rendre d'autres papiers plus importants, dont il s'est emparé. Mais je suis très sûr qu'à présent il ne faut pas le pousser à bout. Il faut même avoir pitié de lui. M. le duc de Choiseuil luy ôterait la pension dont il l'honore et qui est sa seule ressource pour lui et pour sa femme. L'indiscrétion, la mauvaise éducation, la pauvreté et non la mauvaise volonté luy ont fait commettre une assez méchante action. Ensevelissons la dans le plus profond oubli. Il sera comme Crispin, quelquefois honnête homme et quelquefois fripon. D'ailleurs je n'ay que ma certitude mais nulle preuve que je puisse alléguer. Quand j'en aurais, je me tairais encore. Ce serait un fracas de tracasseries, une source d'horreurs qu'on ferait naitre, si on laissait seulement tomber sur lui des soupçons. Tout cela est triste, me direz vous. Ouy sans doute, mais il me semble qu'on peut s'en tirer avec son innocence, des amis, et un peu d'attention. Il me semble qu'on peut tout réparer en peu de temps; et qu'on a pris touttes les précautions nécessaires. Mrs de Jaucourt et de Shomberg, favoris de M. le duc de Choiseuil, lui ont écrit de Ferney sans même m'en prévenir. Mr Marin parlera sans doute à mr Desartine et à M le chancelier.
Votre neveu peut aisément désabuser ses confrères. Mon petit billet à M. Marin me parait très convenable. On en peut faire cent copies. Il en faut sur tout aux avocats généraux. Voilà, je crois, les emplâtres qu'on doit mettre sur les blessures que ma facilité et le hazard m'ont faittes. J'ajuste sans peine l'affaire de la du Chene.
J'espère qu'on n'annotera rien. Je n'aurais pas àprésent de quoi me faire enterrer. Je prie messieurs d'attendre. Bon soir ma chère amie. J'oubliais de vous dire que j'ai fait pour mr d'Argental ce que j'ay pu.
V.