1767-01-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Comme nous ne voulons rien faire, mon très cher ange, sans vous en donner avis, nous vous communiquons made Denis et moi le nouveau mémoire que nous sommes obligés d'envoier à Mr le vice chancelier, fondé sur une Lettre dans laquelle on nous avertit que des personnes pleines de bonté ont daigné lui recommander cette malheureuse affaire.

Le mémoire dont ces personnes ont ordonné qu'on nous fit part, alléguait des faits dont elles ne pouvaient être instruittes. Ce mémoire se trouvait en contradiction avec les nôtres et avec le procez verbal. Vous voiez, mon divin ange, que nous sommes dans l'obligation indispensable d'exposer le fait tel qu'il est, et de requérir que Mr le vice chancelier daigne se procurer les informations que nous demandons. Nous sommes si innocents que nous sommes en droit de demander justice au lieu de grâce. Nous passerions pour être évidemment complices de la Doiret si nous l'avions connue.

Nous vous suplions de vouloir bien vous intéresser à l'autre affaire que nous avons recommandée à vos bontés auprès de mr De La Reinière le fermier général.

Venons à des choses plus agréables. On ne pouvait guères dans l'état de crise où la République de Genêve et moi nous nous trouvons par hazard, imprimer correctement Les Scithes. Nous vous enverrons incessamment des exemplaires plus honnêtes. J'ai essuié de bien cruelles afflictions en ma vie. Le beaume de Fierabras que j'ai apliqué sur mes blessures a toujours été de chercher à m'égaier; rien ne m'a paru si gai que mon épître dédicatoire. Je ne sçais pas si elle aura plu, mais elle m'a fait rire dans le temps que j'étais au désespoir.

J'avais promis à mr le chevalier De Beauteville d'aller lui rendre sa visite à Soleure et d'aller de là passer le Carnaval chez l'Electeur palatin et arranger mes petites affaires avec mr Le Duc de Virtemberg; mais mon quart d'apoplexie, et une complication de petits maux assez honnêtes, me forcent à rester dans mon lit, où j'attends patiemment la nombreuse armée de cinq ou six cents hommes qui va faire semblant d'investir Genêve. L'état major n'investira que Ferney; il croira s'y amuser, et il n'y trouvera que tristesse malgré le moment de gaieté que j'ai eu dans mon épitre dédicatoire et dans ma préface contre Duchêne.

Je pense qu'on ne saurait donner trop tôt les Scithes, il ne s'agit que de trouver un vieillard. La représentation de cette pièce ferait aumoins diversion. Cette diversion est si absolument nécessaire qu'il faut que la pièce soit jouée ou lue.

Adieu, mon aimable et très cher ange, je me mets aux pieds de made D'Argental. J'ai bien peur qu'elle ne soit affligée.

V.