13 janvier [1767], partira le 14

Nous venions, mon cher ange, d'envoier le mémoire cy joint, à m^r De Montyon, et d'en faire une copie pour vous, selon nôtre usage, lorsque nous avons reçu vôtre aimable Lettre du 7^e janvier.

1. C'est à vôtre sagesse à voir quel usage on peut faire de ce mémoire. C'est un grand bonheur que ce Janin n'ait nommé que la Doiret devant ces trois témoins, il ne sera plus reçu à nommer un autre nom. Faites valoir ou supprimez ce mémoire, tout sera bien fait.

2. Que l'on prononce contre la dame Doiret toutes les condamnations possibles, cela ne nous fait rien. Que l'on fasse des livres ce que l'on voudra, nous ne nous y intéresserons assurément point.

3. Nous ne concevons pas nôtre cher ange, comment vous nous proposez d'écrire à m^r de Chauvelin lorsque vous êtes à portée de lui parler.

Est-il possible que vous nous proposiez de faire par Lettres à cent trente lieues d'éloignement, ce que vous pouvez faire de vive voix à Paris en deux minutes! Nous ne demandons la prompte révocation de Janin qu'afin qu'il ne puisse apprendre le nom de mad^e Lejeune au bureau de Colonge; et vous restez tranquile!

4. Vous ne nous dites point quel est le président du bureau, et vous devez bien présumer que nous le saurons sans vous, et que nous le saurons trop tard. Nb. Nous l'apprenons dans le moment et nous aurions tremblé à ce nom sans m^r de Pralin et m^r de Chatelus. 

5. Nous sommes aux pieds de M^r Le Duc De Praslin, mais nous serions aussi à son cou, s'il avait parlé d'abord à m^r le vice chancelier.

6. S'il était nécessaire que moi V. j'allasse arranger mes affaires avec m^r Le Duc De Virtemberg, vous concevez bien que les discours de Paris ne m'en empècheraient pas. Il est vrai que je suis bien malade, et que je risquerais ma vie au milieu des neiges, mais si on me persécutait à 73 ans, cette vie ne mériterait pas d'être conservée.

7. Permettez nous d'insister plus que jamais sur la saisie de l'équipage de mad^e Denis. Vous ne connaissez pas encor une fois, la province où nous sommes. Cette saisie, et la raison de la saisie ne lui permettraient pas de rester dans un château que j'ai bâti à si grands frais; il faudrait tout abandonner; et j'irais certainement mourir dans les païs étrangers.

8. Moi V. je vous conjure à présent de songer aux Scithes plus que jamais. C'est précisément dans ce temps cy qu'il faut qu'ils paraissent pour faire diversion. Il est absolument nécessaire ou qu'on les joue, ou qu'on les débite. Vous ne m'avez point accusé la réception des deux éxemplaires adressés à m^r Le Duc De Praslin. Je lui en ai adressé encor un troisième avec les directions nécessaires pour les acteurs. Puisse cette pièce être jouée comme elle va l'être à Ferney! M^r et mad^e Delaharpe sont des acteurs éxcellents, et tout le reste est fort bon.

Maintenant, vous me demanderez peut être comment je ne me suis pas adressé à M^r le Duc De Choiseuil dans l'affaire présente? C'est que précisément dans ce temps là même je prenais la liberté de lui en recommander d'autres auxquelles il se prêtait avec une bonté et un courage inexprimables. C'est enfin, par ce que ne sachant pas quelle serait l'issue de cette abominable avanture, je réservais sa protection pour mes affaires avec m^r le Duc de Virtemberg.

Je vous suplie de remercier pour moi m^r le chevalier de Chateluz. Je le connais par ricochet, c'est un philosophe. On me mande qu'on exerce une furieuse tirannie contre les autres philosophes. Jugez si j'ai dû commencer par faire mes paquets!

Songez bien aux dates, mon cher ange, je vous en conjure. Le mémoire pour M^r de Montyon est parti un jour avant que je vous écrive cette Lettre. Si vous jugez à propos que ce mémoire n'ait d'autre éffet que celui de faire voir combien le receveur du bureau de Colonge est indigne de recevoir le prix de sa rapine, il suffira que M^r De Montyon l'ait lu sans pousser les choses plus loin.

Songez bien encor que nous n'avons commencé un procez criminel contre des quidams inconnus que pour montrer combien nous avons à cœur de poursuivre les délinquants, et de constater nôtre innocence. Ce procez criminel n'a point été suivi, et nous en avons éffacé tous les vestiges.

Encor une fois que La Doiret et le Quidam soient condamnés à l'amande c'est ce que nous demandons; et que le nom de Janin même, ni le mien, ne paraissent point dans l'arrêt.

Nous aurions demandé un délai à m^r De Montyon, mais sur vôtre Lettre, et sur la Lettre détaillée de m^r L'abbé Mignot nous n'en demandons plus.

Le mot d'amande qui se trouvait dans la lettre de madame D'Argental et qui semblait porter sur mad^e Denis, nous avait cuellement allarmés. Nous étions résolus à tout hazarder plutôt que de nous soumettre à un tel affront.

Nous respirons depuis douze ans l'air des républiques, mais nous reprenons guaiement nos chaines si elles ne sont pas déshonorantes. Vous savez que de cette petite affaire là j'ai eu une attaque d'apopléxie, mais je ne veux pas en avoir deux, et je veux mourir tranquile.

Je me mets aux pieds du satrape Nalrisp. J'ai des raisons éssentielles pour qu'on joue les Scithes, et pour qu'on les débite incessamment.

Le temps est horrible, le Thermomêtre est à quinze degrés au dessous de la glace comme en 1709 dans notre Sibérie. Le froid est, dit on, excessif à Paris, mais on peut aprendre ses rôles dans cette extrème rigueur de la saison, et jouer la pièce dans un temps plus doux.

Aureste, j'écris un mot de remerciement à M^r le chevalier de Chatelus, et je vous suplie de vouloir bien le lui faire remettre.

Il ne me reste qu'à baiser les ailes de mes anges avec mon idolâtrie ordinaire.

V.