à Ferney samedi au matin 3 janvier 1767 avant que la poste de France soit arrivée à Genêve
Mes anges sauront donc pourquoi j'ai fait imprimer les Scithes.
1º. C'est que je n'ai pas voulu mourir intestat, et sans avoir rendu aux deux satrapes Nalrisp et Elochivis l'hommage que je leur dois.
2º. C'est que mon épître dédicatoire est si drôle que je n'ai pu résister à la tentation de la publier.
3º. C'est qu'il n'y a réellement point de comédiens pour jouer cette pièce, et que je serai mort avant qu'il y en ait.
4º. C'est que j'emporte aux enfers ma juste indignation contre les comédiennes qui ont défiguré mes ouvrages pour se donner des airs penchés sur le théâtre, et contre les libraires, éternels fléaux des auteurs, lesquels infâmes libraires de Paris m'ont rendu ridicule, et se sont emparés de mon bien pour le dénaturer avec un privilége du roi.
J'ai donc voulu faire savoir aux amateurs du théâtre avant que de mourir, que je protestais contre tous les libraires, comédiens, et comédiennes, qui sont les causes de ma mort, et c'est ce que mes anges veront dans l'avis au lecteur qui est après ma naïve préface.
Je proteste encore devant dieu et devant les hommes qu'il n'y a pas une seule critique de mes anges et de mes satrapes à laquelle je n'aie été très docile. Ils s'en apercevront par le papier collé page 19, et par d'autres petits traits répandus ça et là.
Je proteste encore contre ceux qui prétendent que je suis tombé en apoplexie. Je n'ai été évanoui qu'un quart d'heure tout au plus; et mon style n'est point apoplectique.
Si mes anges et mes satrapes veulent que la pièce soit joué avant que l'édition paraisse, ils sont les maîtres. Gabriel Cramer la mettra sous cent clefs pourvu qu'il y ait des acteurs pour la jouer et que les comédiens la fassent succéder immédiatement après la pomme, car pour peu qu'on diffère il sera impossible d'empêcher l'édition de paraître. Les provinces de France en seront inondées et il en arrivera à Paris de tous côtés.
Je la lus devant des gens d'esprit, et même devant des connaisseurs, quatre jours avant mon apoplexie, et je fis fondre en larmes pendant tout le second acte et les trois suivants.
J'enverrai au bout des ailes de mes anges les paroles et la musique, dès que les comédiens auront pris une résolution. J'attends leurs ordres avec la soumission la plus profonde.
V.