à Ferney 6 fév. [1767]
Je vous réponds tard, mon cher confrère.
J'ai été malade; je suis en Sibérie; on fait la guerre près de ma tanière, et j'y suis bloqué. Nous avons été exposés à la disette, aucun fléau ne nous a manqué. L'espérance de voir vôtre Tragédie entre dans mes consolations. Je loue toujours beaucoup le dessein que vous avez de la faire imprimer afin que son succez ne dépende pas du jeu d'un acteur. On dit que le théâtre n'est pas aujourd'hui sur un pied à donner beaucoup de tentation aux auteurs, et d'ailleurs on juge toujours mieux dans le recueillement du cabinet qu'à travers les illusions de la scène. J'ai fait une pièce fort médiocre, intitulée Les Scithes. J'ai eu bravement l'impudence de mettre des agriculteurs et des pâtres en paralelle avec des souverains et des petits maîtres. Je l'avais fait imprimer, et ne comptais point la livrer aux Comédiens, mais je ne me gouverne pas par même; il a fallu céder aux désirs de mes amis dont les volontés sont des ordres pour moi. C'est à vous à voir si vous aurez plus de courage que j'en ai eu.
Avez vous entendu la musique de Pandore? Confiez moi ce que vous en pensez; il faut dire la vérité à ses amis. Je crois qu'il y a des morceaux très agréables; mais on dit qu'en général la musique n'est pas assez forte. Je ne m'y connais point, et vous êtes passé maître. Dites moi la vérité encor une fois, et fiez vous à ma discrétion. Adieu, je ne suis pas trop en état de causer avec un homme qui se porte bien, mais je ne vous en aime pas moins.
V.