22 juillet [1769]
Mon cher ange sur votre lettre du 13 je vous renvoie à madame Denis.
Je lui ay confié une partie du mistère d'iniquité. Je ne l'ai sçu que par elle. En vérité tout est un jeu de hazard dans ce monde ou peu s'en faut.
La Duchene, bonne imbécile, consulte made Denis sur un receuil de mes lettres qu'on lui a vendu et qu'elle veut imprimer. Je ne reçois ce beau receuil par madame Denis que le 19 du mois. Je vois alors qu'on m'a volé baucoup de manuscrits, et entre autres ces lettres peu faites assurément pour voir le jour, et un gros mss de recherches sur l'histoire par ordre alphabétique. La lettre P était fort ample. On s'en est servi. On a suppléé, on a ajouté, on a broché, brodé comme on a pu. On a vendu le tout.
L'autheur de toutte cette manœuvre m'est assez connu, mais je dois absolument me taire. On me dirait vous avouez qu'on vous a volé ces lettres, donc elles sont de vous. Vous avouez qu'on vous a volé le Receuil P, donc il est de vous. De plus que de noirceurs nouvelles on ajouterait à la première! On ne s'arrête pas dans le chemin du crime. Cette affaire deviendrait un labirinthe horrible dont je ne pourais me tirer. Je n'ay que la certitude entière qu'on a trahi l'hospitalité. Je n'ay point de preuves juridiques et quand j'en aurais, elles ne serviraient qu'à me plonger dans un abîme: et les cagots m'y égorgeraient à leur plaisir.
Je n'ay donc d'autre parti à prendre que celui de me justifier sans accuser personne.
Je vous jure mon cher ange que je n'ay pas la moindre petite part à ces derniers chapitres. Je les trouve croqués, faux, plats, ridicules, insolents, et je le dis, et je ferai encor plus.
Ce petit mot écrit à mr Marin me parait déjà un léger apareil sur la blessure qu'on m'a faitte. Il me semble qu'on ne peut trop faire courir mon billet à mr Marin chez les personnes intéressées. Je voudrais que m l'abbé Chauvelin en eût des copies; et qu'on en donnât aux avocats généraux. Mon neveu d'Hornoy peut y servir baucoup. On a déjà prévenu les coups qu'on pourait porter du côté de la cour. Je compte sur la voix de mes anges baucoup plus que sur tous le reste. Elle est acoutumée à soutenir la vérité et l'amitié. Elle a toujours été ma plus grande consolation. J'ay résisté à des secousses plus violentes. J'ay pour moy mon innocence et mes anges. Je puis paraître hardiment devant Dieu.
Ah mon cher ange que me dites vous sur le bonheur que j'ay eu de vous offrir un petit service! Vous êtes mille fois trop bon.
V.