1769-07-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Je vous écrivis hier, ma chère nièce, au départ du courier un petit mot fort à la hâte.
J'ai passé une partie de la nuit à lire ces lettres à made de La Neuville etca que cette pauvre Duchêne veut imprimer. La première dit, que je déteste cordialement le pape et la cour de Rome. Il n'y a pas d'aparence que je sois jamais canonisé sur ces lettres là; il faut être bien damné pour me jouer de pareils tours.

Vous savez que mes papiers sont un peu à l'abandon dans ma bibliothèque. Vous savez qu'on m'en vola beaucoup, vous n'ignorez pas qui les vola. J'ai perdu un très gros manuscrit de recherches sur l'histoire de France dont je vois bien qu'on a extrait tout ce qui regarde le parlement. Le voleur a compilé tout à sa mode. Je lui ai encor bien de l'obligation de n'avoir pas mis mon nom à la tête quand il l'a fait imprimer. Tout ce que je vous dis est dans la vérité la plus éxacte, et ce qui est fort étrange c'est que je ne puis publier cette vérité parce que je n'en ai point de preuve convainquante, parce que je me ferais un ennemi très dangereux qui serait apuié par des ennemis plus dangereux encor; parce qu'aiant été volé, falsifié, et calomnié, je passerais moi même pour un calomniateur.

Je suis donc très fermement résolu à me justifier sans accuser personne, et non moins résolu à braver toutes les suittes de ce mistère d'iniquité malgré mon âge et mes maladies. Je crois qu'il suffit à présent de faire courir tant qu'on poura, ma Lettre à mr Marin. Il est surtout nécessaire que nôtre ami d'Hornoy en distribue plusieurs copies à ses chers confrères, et surtout que les avocats généraux en aient leur provision. Je vous en envoie encor deux copies; il vous sera aisé, ma chère amie, d'en inonder le public; un écrivain des charniers st Innocent en peut faire cent par jour. Je voudrais bien que les Guêbres fussent déjà imprimés pour faire diversion dans Paris que mylord Bolingbroke apellait la ville causeuse. Il faut se résigner et agir. Je m'en raporte à vôtre amitié, et je prends pour ma part la patience. Tout ce que vous me mandez dans vôtre grande lettre est très vrai. Vous me paraissez bien informée, et ce qui n'est pas moins vrai c'est que vous faittes la consolation de ma vie, et que je vous aime bien tendrement. Confiez, je vous en prie aux anges ce que je vous écris.