1764-11-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, j'ai en main deux éxemplaires de l'ouvrage attribué à St Evremont, qu'on a joint à plusieurs autres. Mais comment vous envoier ces recueils? Il faudra attendre l'occasion de quelque voiageur.

Voicy en attendant, une petite brochure que l'on m'a adressée. Je crois que Merlin poura l'imprimer, sans que mr Marin puisse trouver mauvais qu'on ne se soit pas adressé à lui pour cette bagatelle: 1. elle n'est point de moi, et en second lieu, quand j'y aurais part, il ne conviendrait pas que j'en fisse les honneurs.

J'ai cru devoir emploier les bons offices de mr Marin dans ma réponse à Mr Defoncemagne, et lui marquer cette confiance. Je vois qu'il protège Duchêne qui est un bien mauvais imprimeur. Si jamais je puis trouver sous ma main quelque ouvrage qui puisse paraître en France sans faire crier les fanatiques, je vous l'enverrai pour en gratifier ce pauvre enchanteur Merlin.

On m'avertit que les Omers se préparent à faire incendier au bas de l'escalier certain portatif auquel je n'ai nulle part, et qu'ils veulent m'attribuer. Je ne sçais même si la chose n'est pas déjà faitte. Je me résigne à la volonté divine, et je m'envelope dans mon innocence. Le parlement Welche ne voit pas plus loin que son nez. Il devrait sentir combien il serait de son intérêt de favoriser la liberté de la presse, et que plus les prêtres seront décrédités, plus il aura de considération. Le sénat romain se garda bien de condamner les livres de Lucrece, et le parlement d'Angleterre, vrai parlement, ne soutient la liberté d'écrire que pour affermir la sienne.

Sur ce, je vous embrasse, je ris des Welches, je plains les philosophes.

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