1764-12-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'ai reçu, mon cher frère, l'histoire de la destruction, qui est l'ouvrage de la raison et de l'esprit, mais qui ne sera pas enrégistré. J'ai reçu aussi l'autre ouvrage qui l'a été, mais qui ce me semble, ne vaut pas l'autre. Cramer va faire avec grand plaisir tout ce que vous avez recommandé. Vous me paraissez juger aussi bien de la déraison en finances que du galimathias en théologie. Une des grandes consolations de ma vie, c'est que j'ai retrouvé toujours ma façon de penser dans tout ce que vous m'avez écrit. Celà est assez à l'honneur de la philosophie. Le bon sens parle le même langage. Les géomètres font dans tout l'univers les mêmes démonstrations sans s'être donné le mot.

Voicy un petit mot de Lettre pour Archimède Protagoras dont l'ouvrage m'a enchanté. Que j'aime sa précision, sa force et sa plaisanterie! qu'il est sage et hardi! qu'il est le contraire de Jean Jaques!

Ce J: J: vient de traitter le conseil de Genêve comme il a traitté Christophe de Beaumont. Il veut mettre le feu dans sa patrie avec les étincelles du bûcher sur lequel on a brûlé son Emile. Je crois qu'il s'attirera quelque méchante affaire. Il n'est ni philosophe, ni honnête homme; s'il l'avait été il aurait rendu de grands services à la bonne cause.

Je suis étonné que le médecin anglais ne soit pas encore arrivé à Paris, et qu'il ne vous ait pas rendu le petit paquet. Apparemment qu'il s'amuse à tuer des Français en chemin. Savez vous que Marc Michel Rey, imprimeur de Jean Jaques, a eu l'abominable impudence de mettre sous mon nom le Jean Mêlier, ouvrage connu de tout Paris pour être de ce pauvre prêtre, le sermon des Cinquante, de Lamêtrie, l'éxamen de la religion attribué à st Evremont? Tout a été incendié à la Haye avec le portatif. Voilà une bombe à laquelle on ne s'attendait point.

Je prends toutes les mesures nécessaires pour détruire tant de calomnies; mais j'ai grandpeur qu'Omer ne se réveille au bruit de la bombe. Il serait triste qu'on vint m'enfumer dans mon terrier à l'âge de soixante et onze ans. Made Denis ma nièce a écrit à d'Hornoy son neveu, conseiller au parlement, et lui a insinué d'elle même, qu'il devait aller, si celà était nécessaire, parler à Omer au palais, et lui dire que s'il fait une sottise il ne doit pas aumoins me nommer dans sa sottise; qu'il offenserait sans raison une famille nombreuse qui sert le roi dans la robe et dans l'épée; qu'il est sûr que le portatif n'est point de moi, et que cet ouvrage est d'une société de gens de lettres très connus dans les païs étrangers.

Vous avez vu mon d'Hornoy à l'occasion d'une certaine Olimpie. Seriez vous homme à le voir à l'occasion d'un certain portatif? pourriez vous l'encourager s'il a besoin qu'on l'encourage? Vous êtes un vrai frère qui secourez dans l'occasion les frères opprimés.

Je vous embrasse bien tendrement. Ecr: l'inf: