Monsieur,
J'ai reçu la Lettre dont vous m'avez honoré en date du 30 qui est aparemment le 30 juin.
Vôtre excellence ne me marque point si elle a reçu la Lettre que je lui écrivis il y a plus de trois mois par la voie de la Hollande. Celle de Paris est extrêmement embarassante, et la communication étant actuellement interrompue entre la France et Genêve, il serait prèsque impossible que je pusse obéïr à vos ordres. Mes correspondants hazardent de vous faire parvenir par Rotterdam et Anvers un petit paquet contenant des instructions pour un prince roial; je ne sais si cet ouvrage a été faits pour un prince roial de Dannemarck ou de Prusse. On dit l'ouvrage très curieux. Vous en jugerez mieux que moi qui ne suis ni politique ni homme de Lettres. Cette brochure vous arrivera probablement par la poste. Vous êtes d'ailleurs plus à portée que nous d'avoir tous les livres que l'on imprime en Hollande, on dit qu'il y en a de forts mauvais, mais qu'on en trouve aussi d'excellent. Vous pouriez faire donner vos ordres à quelque commissionaire de ce païs là pour faire venir le livre intitulé recueil nécessaire, dans lequel on trouve l'examen important de feu mylord Bolingbroke, et plusieurs autres pièces très curieuses. Il y a aussi le testament de Jean Mêlier, la comédie de Saül et de David traduite de l'anglais, un abrégé de l'histoire écclésiastique sous le nom de L'abbé de Fleuri avec une préface du roi de Prusse, un avis au public sur les Calas et les Sirven, un éxamen des apologistes de la religion chrétienne par Fréret, un autre éxamen par Boulanger. Le libraire Marc Michel Rey d'Amsterdam pourait vous faire tenir tous ces livres qui doivent entrer dans une bibliothèque choisie telle que la vôtre, et qui ne sont pas faits pour Le commun des hommes.
J'aprends qu'il y a aussi une sixième édition d'un livre intitulé dictionaire philosophique. Ce livre est composé par une société de gens de lettres dans laquelle il y a quelques théologiens. Ce livre est imprimé par Marc Michel Rey. Cette nouvelle édition commence je crois par l'article abbé, et finit par celui de Transubstantiation. Je ne connais guères que les tîtres des livres. Mon métier de banquier me laisse à peine le temps de lire. C'est à un prince de vôtre génie à juger du fond des choses et du stile.
Nôtre ville de Genêve vous a renvoié depuis quelque temps une dame qui voiageait avec son amant, et que vôtre gouvernement a fait redemander. Nôtre constitution est toujours très chancelante, nous attendons tout des bontés de sa majesté le Roi de France.
J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect
Monsieur
de vôtre Excellence
Le très humble et très obéissant Serviteur
Valretoi
à Genêve 17e juillet [1767]