11e avril 1768, à Ferney
Il faut, Monsieur, que je vous parle avec la plus grande confiance et très ouvertement, quoique par la poste.
Je n'ai pas assurément la moindre part à la plaisanterie au gros sel intitulée le catécumène. Il y a des choses assez joliment tournées mais je serais fâché de l'avoir faite, soit pour le fond, soit pour la forme. Ce Catécumène est tout étonné de voir un temple; il demande pourquoi ce temple a des portes, et pourquoi ces portes ont des serrures. D'où vient-il donc? quelle est la nation policée sur la terre qui n'ait pas de temple, et quel temple est sans porte? Je me flatte que vous ne me croirez pas capable d'une pareille inéptie.
La Hollande est infectée depuis quelques années, de plusieurs moines défroqués, capucins, cordeliers, maturins, que Marc Michel Rey d'Amsterdam fait travailler à tant la feuille et qui écrivent tant qu'ils peuvent contre la religion romaine pour avoir du pain. Il y a surtout un nommé Maubert qui a inondé l'Europe de brochures dans ce goût. C'est lui qui a fait le petit livre des trois imposteurs, ouvrage assez insipide que Marc Michel Rey donne impudemment pour une traduction du prétendu livre de l'Empereur Frédéric second.
Il y a un théatin qui a conservé son nom de Laurent qui est assez facétieux, et qui d'ailleurs est instruit; il est auteur du compère Matthieu, ouvrage dans le goût de Rabelais, dont le commencement est assez plaisant, et la fin détestable.
Les libraires qui débitent tous ces livres, me font l'honneur de me les attribuer pour les mieux vendre. Je paie bien cher les intérêts de ma petite réputation. Nonseulement on m'impute ces ouvrages, mais quelques gazettes même les annoncent sous mon nom. Ce brigandage est intolérable, et peut avoir des suites funestes. Vous savez qu'il y a des gens à la cour qui ont plus de mauvaise volonté que de goût; vous savez combien il est aisé de nuire. Il n'est pas juste qu'à l'âge de 74 ans, ma vieillesse accablée de maladies le soit encor par des calomnies si cruelles.
Je compte assez sur l'amitié dont vous m'honorez pour être sûr que vous détruirez autant qu'il est en vous ces bruits odieux.
Mr D'amilaville, mon ami, pour qui vous avez de la bienveillance, vous certifiera que le Catécumène n'est point de moi; et quand vous serez parfaittement instruit de l'injustice qu'on me fait vous en aurez plus de courage pour la réfuter.
Je ne perds point de vue les commissions que vous avez bien voulu me donner; elles seront faittes avec tout l'empressement que j'ai de vous plaire. Ma mauvaise santé ne m'a pas encor permis de sortir, mais dès que j'aurai un peu plus de force mon premier devoir sera de vous obéïr.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaitte estime, et les sentiments les plus respectueux, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur,
Voltaire