4 avril [1768]

Mon cher amy l'histoire du bannissement des jesuites de la Chine est une plaisanterie infernale de ce maturin Laurent, réfugié à Amsterdam chez Marc Michel Rey.
C'est un drôle qui a quelque esprit, un peu d'érudition et qui rencontre quelquefois. Il est auteur de la théologie portative, et de compère Mathieu. J'avais peine à croire qu'il eût fait le catécumène. Cet ouvrage me paraissait au dessus de luy. Cependant on m'assure qu'il en est l'autheur; ce qu'il y a de triste en France, c'est que des Frerons m'accusent d'avoir part à ces infamies. Je ne connais ny Laurent, ny aucun de ses associez que Marc Michel Rey fait travailler à tant la feuille. Ils ont l'impudence de faire passer leurs scandaleuses brochures sous mon nom. J'ay vu le catécumène annoncé dans trois gazetes comme étant une de mes productions journalières. On ajoute que la Reine en a demandé justice au Roy et que le Roy m'a banni du Roiaume. On sait assez combien tous ces bruits sont faux, mais àforce d'être répétés ils deviennent pernicieux. On se résout aisément à persécuter en effet un homme qui l'est déjà par la voix publique. Je pourai bien mettre la plume à la main comme dit Larcher, pour confondre touttes ces calomnies. J'écrirai contre frère Rigolet et contre le catécumène. Je dédierai, s'il le faut, l'ouvrage au pape. Est il possible qu'à mon âge de 74 ans on puisse me soupçoner de faire des plaisanteries contre la relligion dans la quelle je suis né! On ne veut pas que je meure en repos. J'espère cependant expirer tranquile soit au pied des alpes soit au pied du Caucase.

Je vous embrasse tendrement.

Voulez vous bien avoir la bonté de faire mettre à la poste le paquet pour Monseigneur Turgot le jour que le courier part pour Limoge en droiture? La moisson augmente mais l'ivroye du fanatisme est bien épaisse.