1768-12-19, de Louis Benjamin Annet de Perry, marquis de Perry à Pierre Laulanie de Sudrat.

Le dernier paquet, Monsieur, que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer est venu à fort petites journées, à raison, entr'autres, de sa pesanteur qui a considérablement ralenti sa marche, et l'a obligé de faire séjour chez Mr Dauriac et au Repaire, de sorte qu'il ne m'a été rendu que le 4 au soir; J'ai été doublement mortifié de son retard lorsque j'y ai trouvé la lettre pour Me de st Viance, qui quoiqu'elle lui ait été portée le lendemain matin avant son réveil, lui aura peutêtre paru d'ancienne date. J'ai l'honneur, Monsieur, de vous faire les plus sincères remercimens du contenu dudit paquet, et de vous remettre les quatre parties du Journal Encyclopédique, ainsi que la Princesse de Babilone, si digne à tous égards du beau nom de Formosante, le frère Rigolet, le Discours du prétendu Major, dont on peut bien dire imo et maximus, comme je ne sai quel Gouverneur dit en arrêtant le Roi Stanislas déguisé qui avoit répondu aux interrogations sur sa qualité, Major sum, et les Droits des hommes, qui me paroit un modèle de Mémoire à consulter contre la Papauté. Ce dernier petit morceau purement historique est bien propre à faire naitre ou à confirmer les réflexions philosophiques dont la grande histoire de Diodore a été pour vous, Monsieur, une source féconde, ainsi que pour tout bon Lecteur.

Il seroit bien à souhaiter que les souverains en fissent de pareilles lorsqu'ils lisent quelque histoire, suposé que la lecture les occupe de tems en tems, ce qu'on ne peut guères croire lorsqu'on voit à peu près les mêmes fautes sous tous les règnes, et qu'il est à présumer qu'on auroit évitées en réfléchissant mûrement sur le récit des événemens passés. Si le Pape régnant, par exemple, avoit bien possédé l'histoire de ses Prédécesseurs il y a lieu de penser qu'elle lui auroit apris à se mieux conformer aux tems, et à ne pas compromettre l'honneur de la thiare en prenant un ton qu'il ne peut plus soutenir. Il auroit eu une conduite toute oposée à celle qui l'a mis par degrés dans la position très critique où il se trouve, et dont il n'y a pas d'aparence qu'il puisse se tirer honnêtement. Il s'embourbe au contraire de plus en plus. Il vient d'adresser le Bref le plus révoltant à la République de Venise; Je ne doute pas que ces Pantalons ne lui fassent sentir leur mécontentement de plus d'une manière.

Il semble depuis quelque temps qu'ils veuillent faire voir à l'Europe que Mr Rousseau s'est trompé en disant que leur Etat étoit un gouvernement dissous. Mr de Voltaire en a parlé en bien meilleurs termes dans son homme aux 40 écus, si je ne me trompe, en conjecturant que ce sera par leur territoire que la raison et l'esprit philosophique feront leur entrée en Italie. Je vous suis très obligé, Monsieur, de l'offre obligeante que vous voulez bien me faire à l'égard de cet Homme aux 40 écus; Je l'ai demandé dernièrement à Bordeaux, suposé qu'il ne doive pas être inséré dans les nouveaux Mélanges, car je m'ennuye un peu, je l'avoue, d'acheter si souvent les mêmes choses, d'abord en détail, et ensuite en gros. Il s'en faut pourtant bien que cela me fâche autant que la découverte que j'ai faite depuis peu par hazard, c'est que dans le tems que Labottiere me vendoit fort cher le Dictionnaire philosophique il y en avoit une autre édition de la même année sous le nom d'Amsterdam en deux volumes in-12, infiniment supérieure non seulement pour le caractère, la correction et le papier, mais encore par un très grand nombre d'augmentations, tant en additions qu'en articles tout nouveaux, et enrichie de notes; J'étois furieux lorsque je vis cette édition et que je la comparai à la mienne. Je regrettai beaucoup, Monsieur, de ne pouvoir pas vous rendre témoin de cette différence; mais on ne me laissa malheureusement que le tems de collationer les deux Exemplaires. Je voudrois bien que dans la première édition nouvelle qu'on donnera de ce Dictionnaire, car sûrement il n'en restera pas là, on y inséra la Rélation du bannissement des Jésuites de la Chine, qui est aparemment ce Dialogue dont Me de Cheverry vous avoit parlé; Ce seroit sa véritable place, à l'article de la Chine. Cette Rélation est ce me semble un des meilleurs morceaux que Mr de Voltaire nous ait donnés dans ce genre; C'est un petit Chef-d'oeuvre. Mais connoissez vous, Monsieur, ce Compère Mathieu dont il est parlé dans le titre, et dont il est aussi fait mention dans la Défense de mon oncle; Je n'ai point encore pu avoir d'éclaircissement à ce sujet. Vous dites, Monsieur, que l'Ingénu et la Princesse de Babilone sont des Cadets de Candide; mais ce n'est, autant que j'en puis juger, que suivant l'ordre de la naissance, et non du mérite; ce ne sont point du tout selon moi des Cadets de Normandie; Je suis fou en particulier de la Princesse de Babilone. Je m'étois fait une véritable fête, Monsieur, d'avoir l'honneur de vous en procurer la lecture ainsi que de la Rélation, que je reçus en même tems; mais lorsque je venois de finir ce Roman enchanteur, j'avois à renvoyer à Me de St Viance le seul Mercure que j'aye vu des nouveaux Auteurs, et je mis ma Princesse en si mauvaise compagnie, comptant qu'elle reviendroit en peu de jours, cependant je ne la revois point, et je commence fort à craindre qu'elle ne soit perdue.

J'ai l'honneur d'être avec un attachement inviolable

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur
Montmoreau

Vous trouverez ici, Monsieur, deux volumes du Journal des Dames, les seuls que j'aye reçus, trois couriers de la Mode et quinze affiches.