Je profite, Monsieur, du retour de mon neveu à Perigueux, pour avoir l'honneur de vous faire passer le volume de février du Journal des Dames et quatre feuilles des Affiches, qui sont toutes celles que j'ai reçues, depuis que j'ai eu l'honneur de vous voir. Je crains fort d'avoir perdu celle que je devois recevoir jeudi dernier. On m'aporta, à la vérité, une envelope de l'Affiche; mais je trouvai dedans une Gazette de France, pareille à celle que je reçus aussi ce jour là; Je fus outré de cette méprise, qui sûrement a été occasionnée dans ce pays-ci par l'indiscrétion et l'étourderie des Curieux.
Je fus presque aussi fâché l'ordinaire précédent lorsqu'en ouvrant le Journal des Dames que j'ai l'honneur de vous envoyer, j'y aperçus en tête les vers de Mr de Voltaire au Roi de Dannemarck, que j'avois déjà vus tant de fois reparoitre dans différens papiers publics. Une si fréquente multiplication d'Etres, sans nécessité, me fera je crois à la fin renoncer à tous les Journaux. Aureste ces vers ont été cruellement défigurés par l'imprimeur de Me de Maisonneuve; Je ne conçois pas comment il a pu faire tant de fautes dans un si petit Ouvrage.
Je ne sai, Monsieur, si l'Extrait que le Journaliste des Dames a donné de toutes les Brochures concernant le démêlé de Mrs Hume et Rousseau, et surtout ses réflexions à ce sujet, feront sur vous le même effet que sur moi. Je suis presque entièrement changé à présent, et je penche beaucoup pour le Genevois. Les Vers que Mr Dorat lui a adressés ainsi qu'à Mr de Voltaire au sujet de cette querelle, sont du nombre des Pièces analisées, et m'ont tout à fait révolté. Ils sont odieux. L'Auteur y a outré l'impertinence rafinée qui caractérise, en général, Mrs les Mousquetaires, dont il paroit qu'il a conservé le ton, en quittant l'uniforme. Certainement Mr de Voltaire n'avoit pas tort de s'en plaindre, et on doit être bien édifié de la modération avec laquelle il en a parlé. Elle ne brille pas de même, tant s'en faut, dans les Notes qu'on a publiées sur sa lettre à Mr Hume. Je regrette beaucoup de ne pouvoir pas être convaincu qu'elles ne sont point de la même main que la lettre. Tout cela est bien affligeant et humiliant pour la pauvre humanité. Me de St Viance me fit la grâce de m'envoyer lundi dernier le Mercure de Juin, dans lequel je fus très agréablement surpris de trouver deux lettres de Mr de Voltaire à Mr de Belloy, en réponse à une très longue lettre et une grande Pièce de Vers que celui-ci lui a adressées sur la première représentation de la Tragédie des Scythes que je ne croyois pas avoir été si mal reçue que cette lettre et ces Vers donnent lieu de le conjecturer. Le plaisir que j'ai eu de voir, à la suite, les deux réponses de Mr de Voltaire, a été un peu altéré par les lacunes qui se trouvent dans la première, et dont je sai bien mauvais gré à Mr de La Place; mais je me flate que Mr Rousseau nous la redonnera en son entier dans quelqu'un des Volumes du Journal Encyclopédique. Après ces deux lettres de Mr de Voltaire, rien ne m'a fait autant de plaisir dans le Mercure que la lettre d'un Elu anonime; Elle m'a paru fort amusante par l'excès de la bétise de celui qui l'a écrite. On n'imagineroit pas qu'on pût être plat et ridicule à ce point là.
Mr Labottiere m'a écrit dernièrement pour se justifier de sa négligence à mon égard. Il rejette la faute sur ses Corespondans de Paris qui, dit-il, le laissent manquer des Ouvrages les plus nécessaires à son Commerce. La Combe, imprimeur de la Tragédie des Scythes, lui en a aporté en compte douze Exemplaires qu'il n'a pourtant pas encore reçus; Ce qui l'engage à me gratifier en attendant d'un Exemplaire de son impression qu'il m'assure être supérieure à l'édition de Paris, attendu, continue-t-il, qu'il y a corrigé deux fautes essentielles. Cet Exemplaire doit m'être remis ces jours-ci par un Plaideur de nos Cantons, qui revient de Bordeaux; mais ce qui est bien plus intéressant que tout cela, c'est que Labottiere me mande qu'il attend quelques nouveaux Ouvrages de Mr de Voltaire. Je suis fort curieux de savoir ce que c'est. Je l'étois beaucoup aussi d'aprendre si Mr de Belloy avoit quelque Tragédie sur le métier, et quel sujet il traitoit. Une des lettres de Mr de Voltaire à cet Auteur, m'a instruit qu'il en vouloit au Chevalier Bayard. Mr de Voltaire lui dit que c'est un beau sujet; mais je doute un peu qu'il le pense effectivement. Je croirois plutôt que le Chevalier Bayard après le Siège de Calais, fera le pendant du Rival par ressemblance après les Philosophes. Aureste le héros actuel de Mr de Belloy a déjà été mis sur le théâtre françois par Autreau, et n'a pas fait fortune.
J'ai l'honneur d'être avec un attachement inviolable
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Montmoreau
ce 2 Août