Paris ce 21 9bre 1731
Il y a quelques jours que je suis à Paris, mon cher monsieur.
Je fis partir hier par le coche de Rouen un paquet contenant quatre exemplaires de l'histoire de Charles 12, un pour vous, un pour monsieur de Cideville, un pour monsieur le premier président, et un pour son secrétaire. Voilà les premiers volumes qui voient le jour. Il est bien juste que vous ayez les prémices, et jamais assurément on n'en a présenté de meilleur cœur. On m'a parlé d'une lettre charmante que vous avez écrite à melle Delaunay. Vous en êtes bien capable; mais monsieur Thiriot prétend que vous allez faire quelque chose de bien mieux, que vous viendrez bientôt à Paris. Venez y donc, aimable philosophe, et retournons à Rouen ensemble. Vous verrez Eriphile bien changée. Monsieur de Cideville m'a déjà mandé que vous aviez approuvé les premiers changements que j'y avais faits; cela m'a bien encouragé. Vous m'avez rendu plus attentif et plus sévère à mesure que vous avez goûté mes corrections. Malheur à tout ouvrage
J'ai bien envie de vous montrer le tout comme il est à présent. J'ai aussi à vous consulter sur la manière dont je dois finir mon essai sur la poésie épique et mes lettres sur les Anglais. Je n'ai jamais eu tant de besoin de vous, et indépendamment de cela, je voudrais passer ma vie dans les douceurs de votre commerce. Depuis que je vous ai vu vous m’êtes devenu nécessaire. Si vous venez à Paris bientôt, vous verrez jouer un chevalier Bayard d'Autreau, une Erigone de La Grange et enfin Eriphile qui passera la dernière. Vous savez peut-être que Fuselier est en prison pour avoir fait une épigramme contre Boindin, Mallet et autres, dans laquelle le nom du père Girard se trouve malheureusement. Monsieur Gaufredi, avocat général au parlement d'Aix, en a été quitte à meilleur marché pour avoir donné des conclusions à mort contre ce même jésuite. Il n'a perdu que sa pension. Adieu, voilà trop de nouvelles pour un philosophe comme vous, et un paresseux comme moi.