[c. 10 December 1731]

D'où vient donc mon cher Cideville que vous ne me donnez point de vos nouvelles?
N'avez vous point reçu le Charles douze que je vous ay adressé sous le couvert de m^r de Formont avec une lettre pour le p. p.? Je n'ay entendu parler depuis ny de vous ny de m^r de Formont. Vous êtes d'étranges gens. Vous ne m'avez écrit avec quelque assiduité que quand vous avez eü quelques services à me rendre. Esce que vous ne m'aimiez qu'à proportion du besoin que j'ay eü de vous? Au moins intéressez vous au succez de cette histoire que vous avez aidée à paroitre au monde. Elle a reçu quelque légère contradiction du ministère, et nulle du public. Mais savez vous qu'il y a eü une lettre de cachet contre Jore? Je fus assez heureux pour le savoir, et assez promt pour l'avertir à temps. Un quart d'heure plus tard mon homme étoit à la bastille, le tout pour avoir imprimé une préface un peu ironique à la tête du procez du père Girard. Cette préface étoit de l'abbé des Fontaines à qui je sauve la prison pour la seconde fois; et mon avis est qu'il ne l'a méritée que lors qu'il m'a payé d'ingratitude, car je ne pense pas qu'on doive en bonne justice coffrer un homme pour avoir suivi la morale des jesuites, ny pour l'avoir décriée.

J'attends toujours certain opera, et travaille à certaine tragédie. Ce même m^r Delaunay qui s'est chargé d'Eriphile vient de donner au théâtre italien une petite comédie allégorique, intitulée la vérité fabuliste. Je ne l'ay point encor vue, ayant eu tous ces jours cy baucoup d'afaires. On en dit peu de bien et peu de mal; ce qui est la marque infaillible de la médiocrité. Le chevalier Bayard vient d'être siflé à la comédie françoise, et n'est plus comme autrefois, le chevalier sans peur, et sans reproche. On va donner l'Erigone de l'autheur des philippiques. Pirron travaille de son côté incognito. Voylà bien des provisions pour le théâtre. Vous savez sans doute qu'on a imprimé des lettres vraies ou fausses de l'abbé Montyon, dans les quelles les ministres de ces pays cy sont extrêmement mal traittez. Mais cet ouvrage imprimé à la Haye ne paroît point encor à Paris, peutêtre en a t'on acheté toutte l'édition pour la suprimer. Apropos d'édition je vous prie d'engager m^r des Forges à empêcher que Machüel ne réussisse dans le dessein qu'il a de contrefaire Charles douze. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur, et suis à vous bien tendrement pour toutte ma vie.

V.