[c. 20 December 1731]
Eriphile et ma machine malade m'ont tellement occupé tous ces jours cy mon cher amy, que l'heure de la poste étoit toujours passée quand j'ay voulu vous écrire.
Je suis venu à bout des tracasseries qu'on m'a faites, mais une tragédie, et une mauvaise santé sont des choses bien plus difficiles à racomoder. Je soufre et je rime. Quelle vie! encor si je rimois bien! mais si vous saviez combien il m'en coûte actuellement pour polir ma putain d'Argos, pour mettre chaque mot à sa place et male formatos incudi reddere versus, vous plaindriez votre pauvre amy.
Mon dieu pourquoy faire des vers et les faire mal? Voylà ce Lagrange qui vient de donner Erigone. Il n'y a pas un vers passable dans tout l'ouvrage. Il y en a cinq cens de ridicules. La pièce est le comble de l'extravagance, de l'absurdité et de la platitude, mais j'ay peur que le siècle n'en soit digne. Cependant ce n'est pas trop à moy à dire du mal du siècle qui traitte assez favorablement Charles douze. Un auteur qui fait des vers comme Lagrange mais qui vaut assurément bien mieux est actuellement fort malade. C'est ce pauvre la Motte. Je suis à peu près dans le même cas, j'ay un reste de fièvre. Adieu. Quand on est malade, il faut s'en tenir au proverbe des lettres courtes et de longues amitiez.
Je vous aime tendrement pr toutte ma vie. Mille amitiez à For.