1731-07-31, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous connoisses mon coeur, mon cher amy, vostre sensibilité vous répond de mon tendre attachement, et vos grâces vous sont garands de sa durée.
Je vous aime très sincèrement et vous ne pouvés point trouver personne plus capable d'aimer que moy, et je n'imagine pas non plus que j'en puisse rencontrer de plus aimable que vous; je songe à vous le jour, j'y resve Les nuits. J'ay été vous chercher où vous n’étiés plus, j'ay fait cent folies dont on pouroit se vanter à une maîtresse et n'en estes vous pas une charmante? Vous avés deux cons bien séduisants pour moy, la douceur la plus grande dans la société, jointe à une flexibilité de génie qui fait que quelque grand, quelque vigoureux, il est susceptible de tous les formes. En un mot je sais tout ce que vous valés. Si vous m’étonnés souvent vous m'attirés à vous davantage et je sens que je voudrois passer ma vie avec vous. Au bout du compte quand vous aurés lu vostre Cesar et que vous aurés entendu dire aux vrais connoisseurs, que depuis Corneille et Racine c'est La pièce du plus grand et du meilleur ton qui ait parû, quand vous aurés eu tout le plaisir de l'incognito pour Eriphile, et que vous serés pleinement sûr par les aplaudissements que l'ombre d'un Roy qui demande vangeance est un acteur très digne de la scène tragique, et que Le merveilleux traitté de la manière dont vous l'avés employé ne peut exciter que la terreur et l'admiration, qu'avés vous de mieux à faire que de venir dans la patrie de Corneille qui doit estre la vostre. Nous vous offrons pour vous y atirer au lieu du tumulte et du fracas et des fausses protestations, Le repos, la paix, et l'amitié la plus sincère. Notre amy Formont a chanté depuis vostre départ quelques stances sur la mort de mr. de la Faÿe. Il me les lut hier après souper et m'en remplit si bien que je fis avant de me coucher les vers que voicy sur le mesme sujet; j'ay eu quelque regret qu'une Epitaphe de mr. de la Faÿe soit devenüe une Epigramme contre mr. de La Motte. Làdessus, si la médiocrité de la pièce ne m'assuroit pas de son peu de cours, je vous prierois de le ménager. Mr de la Motte fait mal des vers, mais il est d'ailleurs homme très estimable, et par sa probité et par son esprit. Vostre Henriade s'achève, envoyés nous le plustost que vous pourés vostre Essay sur le poême épique. Donnés vous le temps cependant de le refondre en entier, comme vous en avés le projet. Vous êtes bien bon de vous ressouvenir d'Argos, je feray tout ce que je pouray pour le mettre en estat de paroître devant vous. Ménagés vostre santé. Mandés moy quand vous en aurés le temps des nouvelles de Cesar, d'Eriphile, et si mr. de Maisons persiste dans son athéisme. Charles 12 s'impatiente dans son grenier, voyés quand il en poura sortir. Adieu, aimés moy et vous ferés justice.