1732-09-08, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous perdés votre argent au jeu!
Quoy donc La Fortune est le Dieu
Que le grand Voltaire réclame?
Mais elle est aveugle, elle est femme
Et vous a préféré quelque fesse mathieu.
Cher amy si vostre belle âme
Peut brusler de quelqu'autre feu
Que de feu des vers; . . . eh morbleu
Sacrifiés à cette Dame
Que Zaire n'a pas séduite pour un peu,
Allumés luy vostre chandelle,
Elle a belle et douce prunelle,
Se connoit mieux que l'autre en gens,
Du moins on ne risque avec elle
Que de perdre son temps. . . .
Laissés à la foule commune
Et du courtisan avili,
Et du joüeur maigre, apauvri
Joüer Les jeux de la fortune.
Ne joués plus au Biribi
Mais à certain jeu favori
Et de la prose et de la Rime,
Dont sortés toujours enrichi
D'aplaudissements et d'Estime.
Veillés pour nous donner des vers,
Ces vers coulants et pleins de verve,
Ces vers avoüés de Minerve
Que dans son cahier de réserve
En lettres d'or Phebus conserve
Pour les fastes de L'Univers.

J'arrive à Roüen et mon premier soin est de vous écrire et de vous assurer que je vous aime. Je ne puis trop vous remercier de la sensibilité que vous me montrés sur ce qui me touche. Elle est bien consolante. Vous joignés à la qualité du plus grand homme de nostre siècle celle du plus aimable et du plus tendre amy. Je vais passer quelque temps à une lieüe d'icy avec nostre cher Formont. Ne nous donnerés vous point quelques ordres cet hiver pour certaine édition de vos pièces fugitives que vous nous aviés promises? Il seroit encore plus charmant pour nous que vous la vinsiés faire vous mesme. En attendant vous deviés bien me les envoyer, je ne Les donnerois à qui que ce soit. Rendés moy La vie la plus douce que vous pourés, éloigné de moy; il entre pour beaucoup dans mes projets de bonheur de vivre avec vous. Aimés moy, vous le devés, et quand vous estes Las de gloire, revenés en jouir dans le sein de vostre amy, écrivés moy, un cœur fait comme le vostre doit sentir L'extrême plaisir que j'ay à recevoir de vos lettres.

L'amitié comme vous savés est un peu bavarde et je ne puis vous quitter, je suis inquiet de vostre santé, j'imagine que vous n'en avés point assés de soin et il me semble que j'y veillerois avec plus d'attention que vous mesme. Vous serés estimé, aplaudi, partout où vous irés. Vous serés montré au spectacles et dans les rües mais songés que vous ne pouvés estre plus aimé que Vous l'estes dans un coin de la France par

C.

J'oubliois de vous dire que L'archevesque de Roüen sait que Vous m'aviés envoyé Zaïre, qu'il l'a entendüe et y a pleuré de tout son cœur, aussi bien qu'une assemblée de grands vicaires. Je l'aurois lüe dans un concile. Ne faut'il pas que tous les Etats aplaudissent mon cher Voltaire?

Jore vous a envoyé tout ce qu'il a d'exemplaires à vous de l'édition d'Hollande. Vous luy en avés donné un, l'autre à moy, et un à Formont. Le P. P. en a pris une du grand Papier, son secrétaire en a eu aussy. Il faut bien passer quelque chose à ces gens là dont nous pourrons avoir à faire.

Mde de la Rivaud. est bien aimable. Elle vous cherche et vous n'estes peutestre pas incapable de quelque goust. Amusés vous. Adieu. Que vous seriés avancé si elle vous aimoit autant que moy. On dit que vous allés à Fontainebleau. Adieu, Fontainebleau n'est guères digne de Vous.