aux Delices le 3e xbre 1758
Madame,
Lors qu'on désire ardemment quelque chose il est tout simple qu'on se serve de touts les moyens pour l'obtenir, et comme il est très certain que j'ay grande envie de me rappeller à l'honneur de votre souvenir, je me flatte que vous ne serés ni surprise ni fâchée que je me serve du prétexte des comissions dont vous m'avés honoré pour vous renouveller les assurances de mon attachement et de mon respect.
Je vous témoignerai en même temps madame combien j'ay été fâché que vos tapisseries ne vous soient pas arrivées plus promptement. Si j'eusse pu les travailler moy même, sûrement vous ne les auriés pas attendues. L'ouvrier à qui je me suis adressé me mande qu'il a envoyé à mr Turkem, banquier à Strasbourg, une quaisse contenant deux fauteuils à treillages tels que vous les désiriés, 12 livres de fil et 4 dousaines d'éguilles, qu'il a envoié 5 fauteuils faits, que les 5 autres seront prêts incessamment et qu'il les attend pour envoyer le tout ensemble. Peut être l'aurés Vous reçue avant ma lettre et je vous serai très obligé Madame si vous voulés bien avoir la bonté de me le faire sçavoir. Quant au rouge depuis longtemps il doit vous être parvenu: sur quoy j'aurai l'honneur de vous dire qu'il vous en coûtera quelque chose. […] que vous me l'avés promis vous me fairés celuy de venir souper chés moy à Paris. Puis que vous me remites 18lt pour cette commission et qu'elle en coûte 38: c'est donc 20lt que Madame la comtesse me doit et dont elle voudra bien renvoyer le payement à ce jour fortuné.
J'espère qu'elle sera persuadée aussi que cette circomstance n'étoit pas nécessaire pour le faire désirer, elle a dû s'appercevoir des sentiments d'admiration dont elle avoit rempli touts les habitants des Delices; il est certain qu'il n'y a persone qui ne l'y regrette et j'ose dire qu'à cet égard je remplis très bien mon devoir. Le maître de la maison est un peu distrait par les nouvelles occuppations qu'il s'est procurant, en achettant les terres de Tournex et de Fairnex. Je crois madame que vous avés vû l'une des deux, et que vous aviés été peu satisfaites des décorations, mais si vous revenés ici dans deux ans, vous les trouverés changées, les vieux châteaux sont à terre, on travaille à en construire de nouveaux dans lesquels vous serés sûrement très bien receue. Me Denis me charge de vous en assurer, et Me de Fontaine de vous dire qu'elle viendra tout exprès de Paris pour vous y ramenner ensuite avec cela, l'une et l'autre vous prient de recevoir leurs très humbles compliments et moy d'être persuadée qu'il serois difficile de rien ajouter aux sentiments d'attachement et de respect avec lesquels j'ay l'honneur d'être
Madame
votre très humble et très obéissant serviteur
Florian