aux Délices près de Genêve 8 avril 1755
Le Kain va donc vous amuser, Monsieur, tandis que je suis beaucoup plus occupé ici d'un poulailler que d'un théâtre.
On dit que je peignais autrefois et vous avez dû vous appercevoir par ma dernière lettre que je ne suis plus qu'un barbouilleur. J'ai demandé votre protection pour avoir plus de verd-de-gris qu'il n'en faut pour empoisonner une Province. Je vous débarasserai au moins de l'huile de noix, car on dit que vous la tirez de Genêve, et en éffet nous nous vantons nous autres génévois d'avoir plus de noyers que vous autres lionnais. Mais pour tout le reste les Délices implorent vos bontés; et si vous voulez même faire ajouter à l'envoi, des brosses de barbouilleur, je peindrai moi-même à grands traits vos treillages. Vous savez que j'augmente le potager aussi bien que la maison.
Nous avons d'ailleurs une serre immense. Ne vous lassez point, je vous en prie, de faire chercher pour votre Bostangi tous les présents de Pomone, de Vertumne, et de Flore; et quand la saison de planter viendra, nous vous demanderons tous les arbustes imaginables. Mais si vous voulez que votre Bostangi vive, je vous avertis qu'il est assez malheureux pour ne pouvoir vivre sans rhubarbe. Je vous supplie donc, Monsieur, de vouloir bien accompagner votre envoi d'une demi livre de la meilleure rhubarbe que jamais la Tartarie chinoise ait produitte.
La petite caisse de livres de la part de Mr le Marquis du Chastellet est pour moi, comme vous l'avez très-bien déviné; et si Mr Sonning vous envoye des graines, ce sera aussi pour moi. Songez que vous étes mon associé aux Délices; j'aime mieux ce commerce que celui de Cadix.
Madame Denis et moy nous vous embrassons de tout notre cœur.
V. t. h. et ob. serv.
V.