aux Délices, 7 avril [1758]
Mon cher ami vous voiez tout avec de bons yeux, et je ne veux voir que par les vôtres.
Je suis avec vous pour mes affaires comme avec le docteur Tronchin pour ma santé. Quand vous trouverez les effets publics mauvais, et que vous vendrez les vôtres, je vous prierai de vendre aussi les miens. Nous les avons achetez dans un temps où tout prospérait mais rien n'est encor désespéré. On ne dit pas de bien de nos affaires il est vrai, ny sur terre ny sur mer. Cependant la France est un bon corps qui s'est toujours guéri de touttes ses maladies et elle en a essuié de plus violentes. Je n'enverray le mandat de 25 m.H qu'à la fin du mois, et je vous prierai de ne rien dire des affaires qui sont entre vous et moy à la personne qui doit payer les 25 m.H.
J'ay envoyé à mr Camp un petit billet de change de 600lt de Cadix. C'est tout ce que j'ay reçu de Mrs Gilly depuis 4 mois. Si ces messieurs traitaient leurs affaires comme les miennes, ils feraient bientôt banqueroute. On dit qu'il y en a baucoup en France depuis quelque temps. Voylà le fruit de la guerre. C'est un fléau dont tout le monde se ressent. Je ne songe qu'à cultiver en paix vos jardins. Je souhaitte que vous ayez quelque fleuriste, quelque amateur de potagers pour ami à Paris qui vous donne touttes les graines possibles. Quand pourai-je vous voir à nos petites Délices? Je viens d'y planter des noyers pour vos arrières neveux. Madame Denis et moy nous vous embrassons de tout notre cœur.
V.