aux Délices près de Genêve 10 8bre 1755
Vous m'avez mis dès longtemps, Monsieur, dans l'habitude de commencer toutes mes lettres par des remerciments.
Je fais faire ici une voiture très-simple pour aller de Monriond dans vos domaines, et de vos domaines à Monriond. Les portières de la Berline seront à recouvrement afin de n'avoir point de vent coulis. Les pommes ou coquilles de l'Impériale doivent être des plus basses, et tous les ornements des plus simples. Je renonce à la dorure selon la Réforme de Genêve; et quoi que je doive renoncer aussi à l'intempérance, je ne révoquerai pourtant pas la prière que je vous ai faite de me faire avoir de ce bon muscat, et du caffé de moka, s'il est possible.
Voici une petite lettre de change sur Paris dont je vous supplie de vouloir bien me procurer le payement: Je n'ai point spécifié qu'on l'acquittât à vue, cependant il y a grande apparence qu'on en comptera l'argent au porteur.
Je vous supplie, Monsieur, de vouloir bien me mander quelles Lettres de change j'ai eu l'honneur de vous envoyer tirées de Cadix sur Mr Gilly de Montaud. J'ai peur qu'il y ait une erreur dans mes comptes avec Messieurs Gilly, et je ne puis vérifier cette erreur qu'avec votre secours. Il ne s'agit que d'un relevé de ces billets de change que je vous ai adressés. Je suppose que Mr de la Leü aura aquitté la dernière traite, et que celle de Mr de Monmartel est consommée.
Mr du Vernay m'a envoyé des oignons de tulipes: il passe pour le plus grand fleuriste de l'Europe. Une de ces tulipes s'appelle la Cadiere; mais je n'en ai point vue qui portât le nom du Père Girard. Me voilà avec de beaux oignons et point de jardinier. Ceux de ce pays-ci n'entendent rien à la culture des fleurs, et fort peu à celle des fruits. Aucune des graines que vous avez eu la bonté de m'envoyer, n'a réussi entre leurs mains. Si le hazard vous faisait rencontrer quelque garçon jardinier intelligent, et que vous voulussiez me l'envoyer, ce serait une nouvelle obligation que je vous aurais.
Je crois en vérité que vous ne feriez pas mal d'augmenter notre train d'un commissionaire à Lyon, auquel vous donneriez vos ordres pour tous les menus détails dont j'ai eu l'insolence de vous accabler. Par exemple nous avons un besoin pressant de cent livres de savon, c'est-à-dire cinquante livres du blanc, et cinquante livres du gris. Il nous faut une livre de pierres bleues fines. A qui nous adresserons-nous pour cela? Ce ne sera certainement pas à vous: mais comment faire? Je ne peux que rougir des lettres que je vous écris, et vous assûrer de la tendre reconnaissance avec la quelle je serai toute ma vie, aussi bien que made Denis, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
Voltaire
Quoy que je me borne à mon hermitage comme de raison cependant je suis curieux de savoir ce qui arrivera des 24 vaissaux que nous armons, et des deux cent que les anglais ont armez. Je vous embrasse bien tendrement. Je vis dans une si grande retraitte que j'ay ignoré jusqu'aujourduy que M. de Camp avait une sœur et que cette sœur était morte il y a un mois. Je n'ose luye en faire mon triste compliment, mais je m'intéresserai toujours à tout ce qui regarde votre maison.