1731-09-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Hérault.

Monsieur,

Je venois vous faire ma cour.
La mort cruelle de mr de Maisons qui est mort entre mes bras, m'a empêché de m'acquiter plutôt de ce devoir. Vous savez monsieur combien je vous suis attaché et combien j'ay toujours compté sur votre protection. Voicy une occasion où j'attends de vous une justice que le public même exige.

On débite chez Alix, libraire rue st Jacques, et par des colporteurs, le receuil des factoms du père Girard. A la tête de ce receuil est une préface, insultante à ce qu'on dit, au parlement d'Aix, et injurieuse au gouvernement. Je ne l'ay point lue, mais j'aprends que les libraires croyant fort mal à propos que mon nom serviroit à faire débiter l'ouvrage, l'ont vendu publiquement comme de moy; je sçay de plus que cette indigne calomnie a pénétré jusqu'à mr le garde des sceaux, et à mr le Cardinal.

Il n'est que de mon intérest (et c'est peu de chose) de faire conoitre combien une telle pièce est éloignée de ma façon de penser; mais il est de l'intérest public qu'on en connoisse l'autheur. Je viens d'aprendre qu'un nommé Jore, libraire de Rouen, qui est à Paris et dont on peut avoir des nouvelles chez Alix, a imprimé cette pièce et que celuy qui a fait les factums de la Cadiere sous le nom de Chaudon, est l'autheur de cette préface. Je suis las d'être si longtemps responsable des fautes d'autruy; et de voir que les autheurs des ouvrages les plus indignes osent m'en charger tous les jours pour mettre leurs sottises inconues, sous un nom un peu connu.

Je vous demande donc instament justice Monsieur, je vous suplie de vouloir bien parler fortement à mr le garde des sceaux qui n'a point de serviteur plus zélé que moy, et qui assurément ne peut être en rien mécontent de ma conduitte. Je vous regarde monsieur comme le protecteur de la justice et de ja vérité. Je vous ay toujours été sincèrement dévoué, et je joins les sentiments de la reconoissance la plus vive au plus profond respect avec le quel je suis

Monsieur

Votre très humble et obéissant serviteur

Voltaire