1736-05-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il s'agit mon aimable protecteur d'assurer le bonheur de ma vie.

Mr le bailly de Froulay qui me vint voir hier m'aprit que toute l'aigreur du garde des sceaux contre moy venoit de ce qu'il étoit persuadé que je l'avois trompé dans l'affaire des lettres philosophiques et que j'en avois fait faire L'édition. Je n'apris que dans mon voiage à Paris de l'année passée, comment cette impression s'étoit faitte. J'en donnay un mémoire. Mr Rouillé fatigué de toutte cette affaire qu'il n'a jamais bien sçue, demanda à M. le duc de Richelieu s'il luy conseilloit de faire usage de ce mémoire. M. de Richelieu plus fatigué encor et las du déchainement et du trouble que tout cela avoit cause, persuadé d'ailleurs (parce qu'il trouvoit cela plaisant) qu'en effet je m'étois fait un plaisir d'imprimer et de débiter le livre, malgré le Gds, mr de R. di-je me croyant trop heureux d'être libre dit à mr Rouillé, L'affaire est finie, qu'importe que ce soit Jore ou Josse, qui ait imprimé ce f. livre? que Volt. s'aille faire f. et qu'on n'en parle plus. Qu'arriva t'il de cette manière légère de traitter les affaires sérieuses de son amy? que mr Rouillé crut que mes propres protecteurs étoient convaincus de mon tort, et même d'un tort très criminel. Le g. d. s. fut confirmé dans sa mauvaise opinion, et voylà ce qui en dernier lieu m'a attiré ces soupçons cruels de l'impression de la P. C'est de là qu'est venu l'orage qui m'a fait quitter Cirey.

Mr le bailly de Froulay qui conoit le terrain, qui a un cœur et un esprit dignes du vôtre m'a conseillé de poursuivre vivement l'éclaircissement de mon innocence. L'affaire est simple. C'est Josse, François Josse, libraire rue st Jaques à la fleur de lis, le seul qui n'ait point été mis en cause, le seul impuni, qui imprima le livre, qui le débita, par la plus punissable de touttes les perfidies. Je luy avois confié l'original sous serment, uniquement afin qu'il le reliast pour vous le faire lire.

Le principal colporteur instruit de l'affaire est greffier de Lagni. Il se nomme Lyonois. J'ay envoyé à Lagni avant hier. Il a répondu que François Josse étoit en effet L'éditeur. On peut luy parler.

Il est démontré que, pour suprimer le livre j'avois donné 1500lt à Jore de Rouen, c'est Pasquier, banquier, rue Quinquempoix, qui luy compta l'argent. Jore de Rouen fut fidèle et ne songea à débiter son édition suprimée, que quand il vit celle de Josse de Paris. Voylà des faits vrais et inconnus. Echaufez mr Rouillé en faveur d'un honnête homme, de votre amy malheureux, et calomnié.

V.