à Cirey ce 6 mars 1736
Je suis bien malade mon amy, mais cela n'empêche pas que je n'aye encor envoyé des changements à Mr Dargental, car il faut bien toujours corriger.
On se moque de moy quand on veut que je m'excuse sur mon goût pour les Anglais. Il n'est question dans mon apologie que de ce qui a été imprimé contre moy. D'ailleurs je me donneray bien de garde de me rendre coupable de cette bassesse envers une nation à qui j'ay obligation et qui peut encore me donner un azile.
Je n'ay offensé n'y voulu jamais offenser, Marivaux que je ne connois point et dont je ne lis jamais les ouvrages. S'il fait un livre contre moy, ce n'est point par vengeance car il l'auroit déjà fait paraitre, ce n'est que par intérest puisque le libraire qui ne lui offroit que cinq cent francs luy en donne cent pistoles cette année.
A la bon heure que ce misérable gagne de l'argent comme tant d'autres à me dire des injures. Il est juste que l'auteur de la voiture embourbée, du Telemaque travesti, et du paisan parvenu, écrive contre l'auteur de la Henriade, mais il est aussy d'un trop mal honnête homme, de vouloir réveiller la querelle des lettres philosofiques et de m'exposer à la colère du garde des sceaux en répondant vous estre intéressé à ces lettres philosophiques de toutes façons.
Madame la marquise du Chatelet a déjà Ecrit à Mr le bailly de Froulai pour le priéz d'en parler au garde des sceaux. Suivez cela très sérieusement je vous en prie, parléz à Mr le bailly de Froulai, faites prévenir Mr Rouillé par Mr Dargental et par Mr le président Henaut. Ils m’épargneront la peine de couvrir ce zoïle impertinent de l'opprobe et de la confusion qu'il mérite. Adieu, votre amitié m'est plus précieuse que les outrages de tous ces gens là ne me sont sensibles.
V.
Je crains bien que ny les premières, ny les dernières corrections envoyés à Mr Dargental ne soient venu trop tard. Il y a grande aparence que la pièce aura été dans les règles avant l'arrivée de ces changemens. Sy cependant il étoit encor temps d'en faire usage je vous priray d'encourager un peu les acteurs à me donner cette satisfaction.