à Lunéville ce 4 septbre [1749]
Grâces vous soient rendues, mais je suis bien plus inquiet de la santé de madame Dargental que du sort de Rome.
Je vous prie mon cher et respectable amy de me mander de ses nouvelles, car je ne travailleray ny à Catilina ny à Electre que je n'aye l'esprit en repos. Madame du Chastelet cette nuit en grifonant son Neuton s'est senti un petit besoin, elle a apellé une femme de chambre, qui n'a eu que le temps de tendre son tablier et de recevoir une petite fille, qu'on a portée dans son berceau, la mère a arrangé ses papiers, s'est remise au lit, et tout cela dort comme un lironà l'heure que je vous parle.
J'acoucheray plus difficilement de mon Catilina. Il faudra au moins quinze jours pour oublier cet ouvrage et le revoir avec des yeux frais. Si madame Dargental se porte bien j'employeray ce long espace de temps à achever l'esquisse d'Electre avant d'achever de sauver Rome. Je vous demande en grâce de faire au président Henaut la galanterie de luy montrer le premier acte. Qu'importe que L'épée de Catilina soit mal placée sur une table? Otez la de là; et qu'importe une lettre dont on fera avec le temps un autre usage? L'objet de ce premier acte est de donner une grande idée de Ciceron et de peindre Cesar. Voylà entre nous ce dont je me pique. Je suis sûr que le président Henaut en sera très content. Je veux qu'on sache que la pièce est faitte, mais je veux que le public la désire, et je ne la donneray que quand on me la demandera. Je vous suplie de m'envoyer par le moyen de M. de la Reiniere l'ouvrage du docteur Smith. C'est un excellent homme que ce Smith. Nous n'avons en France rien à mettre à côté, et j'en suis fâché pour mes chers compatriotes. Je vous embrasse tendrement mon cher et respectable amy. Est il bien vray que les échevins vont devenir connaisseurs? et que la ville a l'opéra? Est il bien vray que la façade de Perraut tant berné par Boylau, sera découverte? qu'on fait une belle place devers la comédie? Dites moy je vous en prie quel est l'architecte. On dit aussi qu'on doit loger le roy à Versailles, et luy ôter cet œil de beuf. Comment le fastueux Louis 14 avoit il pu se loger si mal? Voylà bien des choses à la fois. On n'en sauroit trop faire, la vie est courte, si on employoit bien son temps on en feroit cent fois davantage. Chers conjurez mille tendres respects.
V.