à Lunéville ce 12 [August 1749]
Ma chère enfant, j'ay reçu aujourduy deux lettres de vous qui m'ont désolé.
Je vous croiois à la campagne, et vous avez été malade à Paris. Peutêtre l'êtes vous encore. Vous travaillez avec un autre feu que made du Bocage; et ce feu vous consume. Votre pièce en vaudra mieux mais il ne faut pas que l'architecte soit accablé par sa maison. Je vous donne des conseils que je n'ay pu prendre pour moy. Il y a longtemps comme vous savez que je roulois dans ma tête il y a près d'un an le dessein de vanger la France de l'infamie de Catilina. Je voulois rendre à Ciceron la gloire qu'il aimoit tant et qu'on avoit indignement avilie, jusqu'à le faire maquereau de sa fille ainsi qu'un certain prêtre, imaginé uniquement pour partager ce maquerellage. Je voulois vanger le sénat de Rome, et tout Paris. Je voulois réparer la honte de la nation. Mais ce projet m'avoit passé de la tête car comment introduire des femmes dans la conspiration de Catilina? Enfin le 3 du présent mois un démon ennemy du repos, s'empara de moy, me donna l'idée d'une femme qui fait un effet terrible, me fit relire Saluste et Plutarque, me fit travailler malgré moy, et me mena un si grand train qu'en huit jours de temps j'ay fait la pièce. Je suis encor épouvanté de ce tour de force. Je lisois tout les deux jours un nouvel acte à made du Chastelet, qui est bien difficile; à mr de st Lambert, qui a autant de goust que d'esprit; enfin à notre petite société. La plénitude du sujet, la grandeur romaine, le patétique affreux de la situation de ma femme, Ciceron, Catilina, Cesar, Caton m'ont élevé au dessus de moy même, m'ont donné des forces que je connaissais pas. Si on m'avoit demandé, combien de temps vous faut il pour cet ouvrage? j'aurois répondu, deux ans. Il a été fait en huit jours, et il faut tout dire en huit nuits: je me meurs, je vais dormir. Voylà comme sont faits les talents ma chère enfant, ils violent. Gardons qu'ils ne tuent. Songez à votre santé. Mais songez aussi à votre pièce. Je vous enverray quelques scènes de Catilina, mais en donnant donnant, souvenez vous de M. de la Reiniere. On dit que Merope est froide, en comparaison de Catilina, et que je n'ay encor fait que cette tragédie. Cela n'est pas tout à fait vrai. Mais entre nous, je crois que Catilina est sans contredit ce que j'ay fait de plus fort à baucoup d'égards.
Il faut être bien sot et bien méchant pour m'imputer ce livre que j'ay à peine lu. Quelle impertinence! Laissons dire et faisons; travaillons, soyons heureux et revoyons nous, et que je puisse dire
Quel est donc le fat avec qui vous êtes brouillée? Comment va la pièce à qui je m'intéresse plus qu'à Catilina? Les plattes lettres que celles de Roussau! Bonsoir.