ce 21 [August 1749] à Lunéville

Je reçus hier au soir la consolation angélique, et j'envoye aujourdhuy le reste de mon grimoire.

Je commence par vous suplier de le lire dans le même esprit que je l'ay fait. Dépouillez moy le vieil homme mes anges, et jettez jusqu'à la dernière goutte de l'eau rose qu'on a mise jusqu'à présent dans la tragédie française. C'est Rome icy qui est le principal personnage, c'est elle qui est l'amoureuse, c'est pour elle que je veux qu'on s'intéresse, même à Paris. Point d'autre intrigue s'il vous plait, que son danger, point d'autre nœu que les fureurs artificieuses de Catilina, la véhémence, la vertu agissante de Ciceron, la jalousie du sénat, le dévelopement du caractère de César. Point d'autre femme qu'une infortunée d'autant plus naturellement séduitte par Catilina qu'on dit dans l'histoire et dans la pièce que ce monstre étoit aimable. Je ne sçais pas si vous frémirez au quatrième acte, mais moy, j'y frémis. La pièce n'a aucun modèle, ne luy en cherchez pas. In nova fert animus. Je sçai que c'est un préjugé dangereux que la précipitation de mon travail. Il est vray que j'ay fait l'ouvrage en huit jours, mais il y avoit six mois que je roulois le plan dans ma tête, et que touttes ces idées là se présentèrent en foule pour sortir. Quand j'ay ouvert le robinet le bassin s'est rempli tout d'un coup.

Ah que madame Dargental a dit un beau mot! qu'il faut ne songer qu'à bien faire, et ne pas craindre les cabales. Ce que je crains ce sont les acteurs et je prendrai plutôt le party de faire imprimer l'ouvrage que de le faire estropier. Mais avec vos bontez les acteurs pouroient devenir romains. Sarrazin romain! quel conte! et Cesar où est il? Du secret, vrayment ouy, c'est bien cela sur quoy il faut compter, une bonne pièce bien neuve, bien forte, des vers pleins, de la grandeur d'âme d'un bout à l'autre, et point de secret. La première démarche que j'ay dû faire a été d'écrire à madame de Pompadour, car il ne faut pas braver les grâces, et c'est un point indispensable. Que de gens d'ailleurs qui aiment Ciceron et qui seront de mon party! Ah si Sarrazin jouoit ce rôle comme ce Ciceron déclamoit ses catilinaires! Je vous répondrais bien d'une espèce de plaisir que nos français musquez ne connaissent pas, et que l'amoureux et l'amoureuse ne donnent point. Il est temps de tirer la tragédie de la fadeur. Je pétille d'indignation quand je voix une partie quarrée dans Electre.

Que diable est donc devenue la lettre du coadjuteur? S'il l'a adressée à Cirey tout est perdu. Coadjuteur, voyez si j'ay peint les chambres assemblées. Bon soir vous tous, que j'aime, que je respecte, à qui je veux plaire, bon soir mon public.

Madame du Chastellet plus grosse que jamais.

V.