à Lunéville ce 23 aoust 1749

Ma chère enfant, je ne reçois qu'aujourd'hui votre lettre du seize.
Vous êtes l'âme la plus adorable que je connaisse. Quoy, prendre tant de soins, agir avec tant de vivacité pour prévenir un afront public que les comédiens faisoient tranquilement, que ce misérable Crébillon autorisoit indignement du sceau de la police! et qui auroit été reçu très avidement d'un public malin et injuste!! Je vous remercie tendrement. Vous pouvez m'inspirer tant qu'il vous plaira les sentiments de la reconnaissance mais je vous défie d'augmenter ceux de ma tendresse.

Nous avons icy l'évêque de Troye. Je le crois de l'académie sans qu'il s'en doute. On me mande qu'il l'emporte sur l'illustre abbé Leblanc. Je l'attends dans ce moment dans ma chambre où je soufre pour luy aprendre cette douce nouvelle.

Je vous parleray toujours de votre petite maîtresse, je ne cesseray de faire des vœux, et des remontrances, de vous aiguilloner, de vous chicanner, de vous presser et de vous retenir.

Vous avez vu sans doute le commencement de Catilina. M. Dargental a la pièce toutte entière. Je veux que vous la lisiez, écrivez luy. On luy rendra la lettre, de sa maison de Paris à Auteuil où il est avec sa famme. Demandez luy un rendez vous. Je veux absolument avoir votre avis. Cela ne ressemble à rien. Si Rome ne joue pas dans la pièce le rôle de L'amoureuse, le rôle intéressant, je suis perdu. Rome sauvée est le vray titre. Ciceron y joue un plus grand personnage que Catilina. Je ne sçai si nos Français aimeront bien Rome. Pourquoy non? On se fait honneur des sentiments qu'on n'a pas. On a bien lu la vie de Ciceron avec plaisir. Enfin si vous trouvez la pièce bonne, je ne crains point les caballes. Elles peuvent nuire pour un temps, mais elles servent à assurer le succez pour toujours. L'envie a son mérite. Je vous embrasse mille fois, ma chère enfant, écrivez moy.

V.