à Lunéville 12 aoust [1749]
O anges!
J'oseray écrire pour ce brave meurtrier dont vous me parlez.
Le service du roy de Prusse est un peu plus sévère que celuy de nos partisans, mais aussi il aura le plaisir d'apartenir à un grand homme.
Ah vrayment, il est bien question de ce pauvre ouvrage, de cette tragédie dans le goust ordinaire! Je n'y veux pas assurément songer. Lisez, lisez seulement ce que je vous envoye, vous allez être étonnez et je le suis moy même. Le trois du présent mois ne vous en déplaise le diable s'empara de moy et me dit: Vange Cicéron et la France, lave la honte de ton pays; il m'éclaira, il me fit imaginer L'épouse de Catilina etc. Ce diable est un bon diable mes anges, vous ne feriez pas mieux. Il me fit travailler jour et nuit. J'en ay pensé mourir, mais qu'importe? En 8 jours, ouy en 8 jours et non en 9 Catilina a été fait, et tel à peu près que ces premières scènes que je vous envoye. Il est tout grifonné et moy tout épuisé. Je vous l'enverray comme vous croyez bien dès que j'y auray mis la dernière main. Vous n'y verrez point de Tullie amoureuse, point de Ciceron maquereau, mais vous y verrez un tableau terrible de Rome, et j'en frémis encore. Fulvie vous déchirera le cœur, vous adorerez Ciceron! que vous aimerez Cesar! que vous direz, Voylà Caton! et Lucullus, Crassus, qu'en dirons nous? O mes chers anges, Mérope est à peine une tragédie en comparaison! Mais mettons au moins huit semaines à corriger ce que nous avons fait en huit jours. Croyez moy, croyez moy, voylà la vraye tragédie. Nous en avions l'ombre, mais il s'agit qu'elle soit aussi bonne que le sujet est beau.
J'ay fait à peu près ce que vous avez voulu pour Nanine. C'est l'affaire de deux minutes. Adieu, adieu, ma tendresse pour vous est l'affaire de ma vie. Madame du Chastelet vous fait mille compliments. Portez vous comme elle; et perdez moins à la comète qu'elle et moy.
Je suis un peu de votre avis messieurs sur bien des points qui concernent Adelaide, mais c'est pr une autre fois. Réservons la comme un pâté froid. On le mangera quand on aura faim.
Mr de la Reiniere a le paquet. Quand vous en aurez de gros à m'envoyer il est votre homme.