1749-08-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
J'ay reçu vos vers très plaisants
Sur notre triste académie.
Nos quarante sont fort savants,
Des mots ils sentent l'énergie,
Et de prose et de poésie
Ils donnent des prix tous les ans.
Ils font surtout des compliments.
Mais aucun n'a votre génie.

Votre majesté pense bien que j'ay plus d'envie de luy faire ma cour qu'elle n'en a de me souffrir auprès d'elle. Croyez que mon cœur a fait très souvent le voiage de Berlin tandis que vous pensiez qu'il étoit ailleurs. Vous avez excité la crainte, l'admiration, l'intérest chez les hommes. Permettez que je vous dise que j'ay toujours pris la liberté de vous aimer. Cela ne se dit guères aux rois, mais j'ay commencé sur ce pied là avec votre majesté, et je finiray de même. J'ay bien de L'impatience de voir votre lutrin, ou votre batracomiachie homérique, sur m. de Valory.

Mais un ministre d'importance,
Envoyé du Roy très chrétien,
Et sa bedaine et sa prestance,
Le courage du prussien,
La fuitte de l'autrichien,
Que votre active vigilance
A cinq fois battu comme un chien,
Tout ce grand fracas héroïque,
Vos avantures, vos combats,
Ont un air un peu plus épique
Que les grenouilles et les rats
Chantez par ce poète unique
Qu'on admire, et qu'on ne lit pas.

Votre majesté, en me parlant des maréchaux de Belleisle, et de Saxe dit qu'il faut que chacun fasse son métier. Vrayment sire vous en parlez bien à votre aise, vous qui faites tant de métiers à la fois, celuy de conquérant, de politique, de législateur et qui pis est le mien, qu'assurément vous faites le plus agréablement du monde. Vous m'avez remis sur les voyes de ce métier que j'avois abandonné. J'ay l'honneur de joindre icy un petit essay d'une nouvelle tragédie de Catilina. En voicy le premier acte. Peutêtre a t'il été fait trop vite. J'ay fait en huit jours ce que Crebillon avoit mis vingt huit ans à achever. Je ne me croyois pas capable d'une si épouvantable diligence, mais j'étois icy sans mes livres, je me souvenois de ce que votre majesté m'avoit écrit sur le Catilina de mon confrère. Elle avoit trouvé mauvais avec raison que l'histoire romaine y fût entièrement corrompue. Elle trouvoit qu'on avoit fait jouer à Catilina le rôle d'un bandit extravagant, et à Ciceron celuy d'un imbécile. Je me suis souvenu de vos critiques très justes. Vos bontez polies pour mon vieux confrère ne vous avoient pas empêché d'être un peu indigné qu'on eût fait un tableau si peu ressemblant de la république romaine. J'ay voulu esquisser la peinture que vous désiriez. C'est vous qui m'avez fait travailler. Jugez ce premier acte. C'est le seul que je puisse actuellement avoir l'honneur d'envoyer à votre majesté. Les autres sont encor barbouillez. Voyez si j'ay réhabilité Ciceron, et si j'ay attrapé la ressemblance de Cesar.

Entre ces deux héros prenez votre ballance,
Décidez entre leurs vertus.
Cesar je le prévois, aura la préférence.
Quelque juste qu'on soit, c'est notre ressemblance
Qui nous touche toujours le plus.

Je ne vous ay point envoyé cette comédie de Nanine. J'ay cru qu'une petite fille que son maître épouse ne valoit pas trop la peine de vous être présentée. Mais si votre majesté l'ordonne, je la feray transcrire pour elle. Je suis actuellement avec le sénat romain et je tâche de mériter les suffrages de Federic le grand

De qui je suis avec ardeur
Le très prosterné serviteur
Et l'éternel admirateur
Sans être jamais son flatteur.

V.