1749-11-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Voylà Sémiramis en attendant Rome sauvée.
Je suis très sûr que Rome sauvée vous plaira davantage, parce que c'est un tableau vray, une image des temps et des hommes que vous conaissez et que vous aimez. Votre majesté s'intéressera aux caractères de Ciceron et de Cesar. Elle regardera avec curiosité le tableau que je luy en présenteray; elle sera empressée de voir s'il y a un peu de ressemblance. Mais il n'en sera pas ainsi avec Semiramis et Ninias. Je m'imagine que ce sujet intéressera bien moins un esprit aussi philosofe que le vôtre. Il arrivera tout le contraire à Paris. Le parterre et les loges ne sont point du tout philosophes, pas même gens de lettres. Ils sont gens à sentiment et puis c'est tout. Vous aimerez la mort de César, nos parisiennes aiment Zaïre. Une tragédie où l'on pleure est jouée cent fois, une tragédie où l'on dit, Vrayment voylà qui est beau, Rome est bien peinte, une telle tragédie di-je est jouée quatre ou cinq fois. J'auray donc fait une partie de mes ouvrages pour Federic le grand, et l'autre partie pour ma nation. Si j'avois eu le bonheur de vivre auprès de votre majesté je n'aurois travaillé que pour elle. Si j'étois plus jeune je ferois une requête à la providence, je luy dirois, O fortune, fais moy passer six mois à Sans Soucy et six mois à Paris.

V.