1752-10-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Je mets à vos pieds Abraham, et un catalogue.
Le père des croyants n'est qu'ébauché parceque je suis sans livres. Mais si V. M. jette les yeux sur cet article dans Bayle, elle verra que cette ébauche est plus pleine, plus curieuse et plus courte. Ce livre, honoré de quelques articles de votre main, ferait du bien au monde. Chérisac coulerait à fonds les sts pères.

Il y a grande apparence que j'ay fait une grosse sottise en envoiant à votre majesté mon mémoire détaillé, mais sire j'ay parlé en philosofe qui ne craint point de faire des fautes devant un roy philosofe au quel il est assurément attaché avec tendresse. Je peux très bien me corriger de mes sottises, mais non en rougir.

J'auray encor la hardiesse de dire que je ne conçois pas comment on peut habiller tous les ans 150000 homes, nourrir tous les officiers de ses gardes, bâtir des forteresses, des villes, des villages, établir des manufactures, avoir trois spectacles, donner tant de pensions, etc. etc.

Il m'a paru qu'il y aurait une prodigieuse indiscrétion à moy de proposer de nouvelles dépenses à V. M. pour mes fantaisies, quand elle me donne 5000 écus par an pour ne rien faire.

De plus je ne connais que le stile des personnes que j'ay voulu attirer icy pour travailler, et point leur caractère. Il se pourait qu'étant emploiées par V. M. à un ouvrage qui ne laisse pas d'être délicat et qui demande le secret, elles fissent les difficiles, s'en allassent, et vous compromissent. En me chargeant de tout sous vos ordres, V. M. n'était compromise en rien.

Voylà mes raisons. Si elles ne vous plaisent pas, si votre majesté ne se soucie pas de l'ouvrage proposé, me voylà résigné avec la même soumission, que je travaillais avec ardeur.

Si votre m. a des ordres à donner, ils seront exécutez.

Pourvu que je me console de mes maux par l'étude et par vos bontez, je vivrai et mourrai content.

V.