1751-08-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Je suis dans une grande affliction.
Votre majesté sait ce que c'est que cinquante vers, quand il faut qu'ils soient bons, et que ce ne sont pas là de petites affaires. J'avais donc fait ces cinquante vers pour Aurelie dans Catilina avec bien de la peine, et j'envoyais à Paris un mémoire raisoné pour empêcher Aurelie de se mêler d'être une madame Caton, et de faire la patriote et l'héroïne. Je voulais consulter votre majesté sur tout cela, et en vérité sire vous me devez vos avis après la liberté que je prends si souvent de vous dire le mien. Je monte dans vos antichambres pour tâcher de trouver quelqu'un par qui je puisse faire demander la permission de vous parler. Je ne trouve personne. Je m'en retourne, et mes vers partent sans votre aprobation. Mais je déclare à votre majesté que je me suis vanté que je vous ay dans mon party, que vous trouvez très bon qu'Aurelie ne s'avise point de vouloir être le soutien de Rome. J'ay encor ajouté pour arrêter l'impatience de mes amis, que vous me faites l'honneur de penser comme moy, qu'il ne faut pas sitôt donner cet ouvrage au public, et que s'ils donnent bataille malgré l'opinion d'un général tel que vous, ils seront battus. J'avais bien encor d'autres vers à vous montrer. J'avois à vous demander votre protection pour L'édition de ce siècle de Louis 14 que je fais imprimer à Berlin. Mais je voulais encor demander à votre majesté une autre grâce. Voicy quelle est ma requête, sire.

Je suis malade, et né malade. Je suis obligé de travailler presque autant que votre majesté. Je passe toutte la journée seul. Si vous vouliez permettre que j'habitasse l'apartement voisin du mien où mr de Bredeau a couché l'hiver dernier, j'y travaillerais plus commodément. J'y aurais un peu plus de soleil, ce qui est un grand point pour moy. L'apartement est tourné de façon que je pourais travailler avec mon secrétaire; les deux apartements sont d'ailleurs égaux, et si votre majesté veut soufrir que je loge dans l'autre, elle me fera le plus grand plaisir du monde. C'est une fantaisie de malade peutêtre mais en ce cas votre majesté en aura pitié. Elle m'a promis de me rendre heureux.

V.