à Potsdam 13 novb [1751]
Mon cher ange, j'ay pour principe qu'il faut croire ses amis.
Vous ne me paraissez pas tout à fait du parti d'Aurelie. Elle vous a paru faible, et dans le fonds vous ne seriez pas fâché qu'elle eût le nez un peu plus à la romaine. Pour moy j'avais du penchant à la faire douce et tendre. Si j'étais peintre, je peindrais Catilina les yeux égarez et l'air terrible, Ciceron faisant de grands gestes, Caton menaçant, Cesar se moquant d'eux et Aurelie craintive et éplorée. Mais on veut au téâtre de Paris dans le royaume des femmes que les femmes soient plus importantes. J'avais oublié cette loy de votre nation si contraire à la loy salique. Il n'est pas étonnant que je sois devenu si peu galant dans le couvent de frère Philippe où il n'y a point d'oye. Mais enfin j'ay cédé, la pluralité l'a emporté. J'ay repeint la femme de Catilina, et je luy ay donné des traits un peu plus mâles. Enfin j'ay refait trois actes. Les deux premiers surtout sont entièrement différents. Algaroti prétend que cela est beaucoup mieux. Vous en jugerez. Pour moy je suis jusqu'à présent de son avis. Il y a près de quinze jours que ces trois premiers actes sont partis escortez d'un quatrième. J'ay fait tout ce que j'ay pu. Mes maladies ne m'ont point découragé. Les contradictions ne m'ont point rebuté. J'ay imaginé qu'il fallait que Catilina aimast sa femme. Il ne l'aime à la vérité qu'en Catilina. Mais s'il ne la regardait que comme une personne indiférente dont il se sert pour cacher des armes dans sa cave, cette femme serait trop peu de chose. Un personnage n'intéresse guères que quand un autre personnage s'intéresse à luy, à moins qu'il n'ait une violente passion, et ce n'est pas icy le cas des passions violentes. Énfin vous verrez la façon dont j'ay remanié tout cela. Un siècle à finir, une édition nouvelle de touttes mes rêveries que je réforme d'un bout à l'autre, et Rome sauvée par dessus; en voylà baucoup pour un malade. Je vous prie d'encourager madame Denis à donner Rome sauvée. Je ne puis en refuser l'impression à mon libraire qui fait ma nouvelle édition, et à qui je l'ay promise. C'est une parole à la quelle je ne peux manquer.
J'ay envoyé aussi l'ancienne Adélaïde pour la quelle vous vous sentirez un peu de faible. Mais gardez vous bien de la préférer à Rome. Croyez fermement malgré le ton doucereux de notre téâtre, qu'une scène de Cesar et de Catilina vaut mieux que toute Adélaïde.
Je ne sçais pas trop ce que madame Denis a été faire à Fontainebleau, avant qu'on donne Rome Sauvée. C'est après le succez (supposé que nous en ayons) qu'il fallait aller là. Je crains un peu cette entrevüe pour le moment présent. On croit le Catilina de Crebillon un chef d'œuvre, il n'y a que le succez d'un bon ouvrage, et le temps qui puissent détromper.
On dit que l'abbé de Berni va ambassadeur à Venize. Je plains le procurateur de st Marc s'il a une jolie femme.
Adieu mes chers anges, je baise toujours le petit bout de vos ailes. Aviez vous entendu parler d'un médecin nommé la Métrie? brave athée, gourmant célèbre, ennemy des médecins, jeune, vigoureux, brillant, regorgeant de santé? Il va secourir mylord Tirconel qui se mourait. Notre Irlandais luy fait manger tout un pâté de faisan et le malade tue son médecin. Astruc en rira, s'il peut rire.
V.
La Métrie a prié par son testament Ml. Tirconel de le faire enterrer dans son jardin.