1751-11-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Ce la Métrie, cet homme machine, ce jeune médecin, cette vigoureuse santé, cette folle imagination, tout cela vient de mourir pour avoir mangé par vanité tout un pâté de faisan aux truffes.
Voylà, mon héros, une de nos farces achevées. La Métrie est mort précisément de la même maladie dont le roy réchapa si heureusement en 1744. Il laisse à Berlin une maîtresse éplorée qui malheureusement n'est pas jolie et à Paris des enfans qui meurent de faim. Il a prié milord Tirconnel, par son testament, de le faire enterrer dans son jardin.

Vous avez peutêtre reçu monseigneur une grande ennuyeuse lettre de moy où j'avais l'honneur de vous parler de ce pauvre diable. Je vous importunais encor d'une certaine terre d'Assay qui est dans votre censive et pour la quelle il y a un procez que vous pouriez, dit on, avoir la bonté de terminer un jour par un doux accord. Ma nièce veut qu'on vende cette terre. Hélas très volontiers. Vous êtes mon seigneur suzerain, et vous ferez de moy ce que vous voudrez. Elle prétend aussi que vous ne voulez pas qu'Aurelie soit traittée en petite fille, et que Catilina et Cetegus la renvoyent faire de la tapisserie au premier acte. Vous la voulez plus nécessaire, plus résolue, plus respectée dans la maison. Je suis entièrement de votre avis. Les trois premiers actes sont absolument changez, et envoyez. Je ne veux pas en avoir Le démenty. Ce petit triomphe, si c'en est un, sera amusant. Nous vous fournirons d'autres batelages pour votre année.

En attendant je vous prie à vos heures perdues de parcourir ce que ma nièce doit avoir l'honeur de vous confier du siècle de Louis 14. J'aurais bien voulu en raisonner avec vous à Richelieu, mais on ne peut pas être partout. Il y a plus d'un ciel dans ce monde. Celuy de Potsdam me plaît toujours baucoup sans me faire oublier le vôtre. Dargens s'est remis bien vite au ton de l'orchestre. La société est douce et délicieuse. Ma machine va fort mal mais mon âme va bien. Elle est tranquile et cette âme est toutte à vous. Je serais bien fâché qu'elle quittast mon corps sans vous avoir fait sa cour. De près ou de loin, sain ou malade, philosophe ou faible, je vous suis bien tendrement dévoué jusqu'au dernier moment de ma drôle de vie. Adieu monseigneur, daignez m'aimer toujours un peu et vous souvenir un peu de votre ancien serviteur dans le chien de tourbillon où vous êtes. Jouissez, digérez tout le plus longtemps qu'il est possible et goûtez ce songe de la vie.

V.