à Cirey ce 18 nbr 1736
Eh bien quand on vous envoye des épitres sur Neuton, voylà donc comme vous traitez les gens! Je m'imagine que si vous ne répondez point c'est que vous étudiez àprésent Neuton, et que la première lettre que je recevray de vous, sera un traité sur le quarré des distances et sur les forces centripètes.
En attendant vous devriez bien vous éguaier à m'envoyer la dispute d'Orphée Ramau avec Euclide Castel. On dit qu'Orphée a batu Euclide. Je croi en effet notre musicien bien fort sur son terrain.
On m'a envoyé L'enfant prodigue tel qu'on le joue. Vrayment j'ay bien raison de le désavouer, et je vous prie de jurer pour moy plus que jamais. On l'avoit estropié chez les reviseurs successeurs de l'abbé Cherrier, mais estropié au point qu'il ne pouvoit marcher. Les deux frères charmants que vous connaissez luy ont vite donné des jambes de bois. Mon amy donnez vous la peine de le relire entre les mains de notre Berger qui va le faire imprimer, et vous m'en direz des nouvelles. Eh bien bourau, eh bien marmote en vie, paresseux, Tiriot vous laissez faire L’édition de Paris et L’édition hollandaise de la Henriade sans y metre un petit mot, sans corriger un vers! Ah quel homme quel homme!
Embrassez pour moy l'imagination de Sauvau. Si vous rencontrez, Colbert Melon, et Varron du Bos, bien des compliments. Menez vous toujours une vie charmante chez Pollion, êtes vous après moy un des plus heureux mortels de ce monde, digérez vous?
Savez vous que le duc Daremberg a chassé Roussau pour ce bau libelle imprimé contre moy? Voylà une assez bonne réponse, c'est une terrible philippique. Je dois avoir pitié de mes ennemis, Roussau est chassé partout, Desfontaines est détesté, et vit seul comme un lézard. Moy je vis au milieu des délices, j'en suis honteux.
Vale, écrivez donc, loir, marmotte, dégourdissez votre indiférence.
En voicy bien d'un autre. Je vais faire exécuter des tapisseries de la Henriade. Au nom d'Apollon écrivez à Tom Grignon qu'il reprenne mes planches chez Wodman, Covent garden. Mais écrivez.
L'ambassadeur Favkener vous fait mille compliments. Adieu mon aimable et paresseux et vieil amy, adieu. Bibe, vale, scribe.