[ce 26 9bre 1733]
Il y a cinq jours mon cher amy que je suis dangereusement malade d'une espèce d'inflammation d'entrailles.
Je n'ay la force ny de penser ny d'écrire. Je viens de recevoir votre lettre et le commencement de votre nouvelle allégorie. Au nom d'Apollon tenez vous en à votre premier sujet, ne l'étouffez point sous un amas de fleurs étrangères, qu'on voye bien nettement ce que vous voulez dire. Trop d'esprit nuit quelquefois à la clarté. Si j'osois vous donner un conseil ce seroit de songer à être simple, à ourdir votre ouvrage d'une manière bien naturelle, bien claire, qui ne coûte aucune attention à l'esprit du lecteur. N'ayez point d'esprit, peignez avec vérité, et votre ouvrage sera charmant. Il me semble que vous avez peine à écarter la foule d'idées ingénieuses qui se présente toujours à vous; c'est le défaut d'un homme supérieur, vous ne pouvez pas en avoir d'autres, mais c'est un défaut très dangereux. Que m'importe si l'enfant est étouffé à force de caresses, ou à force d'être batu? Comptez que vous tuez votre enfant en le caressant trop. Encor une fois plus de simplicité, moins de démangeaison de briller. Allez vite au but, ne dites que le nécessaire. Vous aurez encor plus d'esprit que les autres quand vous aurez retranché votre superflu.
Voylà bien des conseils que j'ay la hardiesse de vous donner, mais petimus que damus que vicissim. Celuy qui écrit est comme un malade qui ne sent pas, et celuy qui lit peut donner des conseils au malade. Ceux que vous me donnez sur Adelaide sont d'un homme bien sain, mais pour parler sans figures je ne suis plus guères en état d'en profiter. On va jouer la pièce, jacta est alea.
Adieu. Dites à mr de Formont combien je l'aime. Je suis trop malade pour en écrire davantage.