1750-08-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville.

Je mérite votre souvenir monsieur par mon tendre attachement, mais Aurelie n'est pas encor digne de Catilina.
Comment voulez vous que je fasse? Trouver tous les charmes de la société dans un roy qui a gagné cinq batailles; être au milieu des tambours, et entendre la lire d'Apollon; jouir d'une conversation délicieuse à quatre cent lieues de Paris; passer ses jours moitié dans les fêtes, moitié dans les agréments d'une vie douce et occupée, tantôt avec Federic le grand, tantôt avec Maupertuis, tout cela distrait un peu d'une tragédie. Nous aurons dans quelques jours à Berlin un carouzel digne en tout de celuy de Louis 14. On y acourt des bouts de L'Europe, il y a même des espagnols. Qui auroit dit il y a vingt ans que Berlin deviendroit l'azile des arts, de la magnificence et du goust? Il ne faut qu'un homme pour changer la triste Sparte en la brillante Athenes. Tout cela doit exciter le génie, mais tout cela dissipe, et prend du temps. Il me faudroit un receuillement extrême. J'ay icy trop de plaisir. Je vous recomande Herode et le duc d'Alençon, je les mets avec mon petit téâtre sous votre protection. Si vous voyez Cesar dites luy je vous en suplie à quel point je luy suis dévoué. Je ne veux pas le fatiguer de lettres, moins je lui écris plus il doit être content de moy. Adieu digne successeur de Baron. Il n'y a que votre aimable commerce qui soit au dessus de votre déclamation. Conservez moy votre amitié. Je vous seray bien tendrement attaché toutte ma vie.

V.