1749-08-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

J'attends la décision de mes oracles, mais je les suplie de se rendre à mes justes raisons.
Je viens de recevoir une lettre de madame de Pompadour, pleine de bonté, mais dans ces bontez même qui m'inspirent la reconnaissance, je vois que je luy dois écrire encore, et ne laisser aucune trace dans son esprit, que des personnes qui ne cherchent qu'à nuire, ont pu luy donner. Soyez très convaincu mon cher et respectable amy que j'aurois commis la plus lourde faute, et la plus irréparable si je ne m'étois pas hâté d'informer madame de Pompadour de mon travail, et d'intéresser la justice et la candeur de son âme, à tenir la ballance égale, et à ne pas soufrir qu'une caballe envenimée capable des plus noires calomnies se vantast d'avoir à sa tête la bauté et la vertu. C'étoit en un mot une démarche dont dépendoit entièrement la tranquilité de ma vie. M'étant ainsi mis à l'abry de l'orage qui me menaçoit, et m'étant abandonné avec une confiance nécessaire à l'équité et à la protection de madame de Pompadour, vous sentez bien que je n'ay pu me dispenser d'instruire madame la duchesse du Main, que j'ay fait ce Catilina qu'elle m'avoit tant recommandé. C'étoit elle qui m'en avoit donné la première idée, longtemps rejettée, et je lui dois au moins l'hommage de la confidence. J'auray besoin de sa protection, elle n'est pas à négliger. made la duchesse du Maine tant qu'elle vivra disposera de bien des voix et fera retentir la sienne. Je vous recommande plus que jamais le président Henaut. J'ay lieu de compter sur son amitié et sur ses bons offices. Des amis qui ont quelque poids et qu'on met dans le secret font autant de bien, qu'une lecture publique chez une caillette, fait de mal. Je ne sçais pas si je me trompe, mais je trouve Rome sauvée fort au dessus de Semiramis. Tout le monde sans exception est icy de cet avis. J'attends le vôtre pour savoir ce que je dois penser.

J'ay vu aujourduy une centaine de vers du poème des saisons de M. de st Lambert. Il fait des vers aussi difficilement que Despreaux. Il les fait aussi bien, et à mon gré baucoup plus agréables. J'ay là un terrible élève. J'espère que la postérité m'en remerciera, car pour mon siècle je n'attends que des vessies de cochon par le nez. St Lambert par parentèse ne met pas de comparaison entre Rome sauvée et Semiramis. Savez vous que c'est un homme qui trouve Electre détestable? Il pense comme Boyleau s'il écrit comme luy. Electre amoureuse! et une Iphianasse, et un plat tiran, et une Clitemnestre qui n'est bonne qu'à tuer! et des vers durs, et des vers d'églogue après de l'emphase; et pour tout mérite un Palamede, homme inconnu dans la fable, et guères plus connu dans la pièce. Ma foy st Lambert a raison. Cela ne vaut rien du tout. Si je peux réussir à vanger Ciceron, mordieu je vangeray Sophocle.

Je ne vous diray que dans quelques mois des nouvelles de votre prussien, vous en saurez les raisons. J'espère que tout ira bien, mais il faut du temps.

Madame du Chastelet n'acouche encor que de problèmes. Bon soir, bonsoir anges charmants. Comment se porte made Dargental?

V.

Ma nièce doit vous prier de luy faire lire Catilina. Ma nièce est du métier, elle mérite vos bontez.