ce il oct. [1748]
Belles âmes, protectrices de mon âme, voicy de nouvelles corrections, que je vous suplie d'envoyer avec les autres.
Il ne faut rien négliger pour mériter tant de bontez. Voicy un mémoire que les comédiens doivent à ce que je pense envoyer aux trois premiers gentilshomes de la chambre, et que mademoiselle Clairon doit faire apuyer par mr Cindré à qui le quatrième mémoire doit être rendu. Ne devroit on pas donner aussi un mémoire à mr de Maurepas et au lieut. de police, fondé à peu près sur les mêmes raisons? Ces représentations si justes jointes à la chaleur de vos bons offices et aux mesures que je prends me donnent lieu d'espérer qu'on parviendra à prévenir l'infamie avec laquelle on veut déshonorer la scène françoise, la seule digne en Europe d'être protégée. Continuez mon cher et respectable amy à deffendre ce que vous avez fait réussir. Triomphez de la plus lâche caballe que l'on ait suscitée depuis Phedre. Vous ferez baucoup plus que moy même. Ma présence animeroit mes ennemis qui voudroient me rendre témoin de L'opprobre qu'ils ont machiné; et si je ne réussissois pas à faire deffendre leur malheureuse satire, je ne serois venu que pour réjouir leur malignité, et pour leur amener leur victime. Je me flatte toujours que M. l'abbé de Berni ne vous refusera pas d'apuyer mes prières auprès de madame de Pompadour, et qu'il se déclarera avec force contre ces misérables parodies qu'il regarde comme la honte de notre nation.
Encor une fois le soin que je prends de rendre Semiramis moins indigne du public éclairé, est ma meilleure réponse et ma meilleure manœuvre. Bien faire et être secondé par vous, voylà mon évangile. Adieu mes chers anges qui présidez à ma Babylone. L'envie a raison de vouloir me perdre. Votre amitié me rend trop heureux.
V.
Voyez ce que vous pensez de mes corrections et de mes mémoires. Pour moy je pense que quand même les corrections ne seroient pas excellentes elles serviroient à désarmer à Fontainebleau ceux qui ont d'abord frondé la pièce et qui en attribueroient le succez à ma docilité.
Je compte sur une nuit, et sur une ombre en blanc avec cuirasse brunie. Je croi vous avoir déjà dit que tout le parterre la souhaittoit ainsi. Allons, courage.
ce 12 octbre. Je fais une réflexion. Si la fureur de la cabale, et le plaisir malin attaché à l'humiliation de son prochain L'emportent sur tant de justes raisons, si on s'obstine à jouer L'infamie à la cour, mr Le duc Daumont qui assurément doit en être mortifié ne peut il pas différer la représentation de Semiramis? ne pouvez vous pas même engager très aisément melle du Ménil à exiger de ses camarades un long délay fondé sur cent vers nouvellement corrigez qu'il faut apprendre? la disposition nouvelle du téâtre de Fontainebleau n'est elle pas encor un motif pour différer? ne peut on pas pousser ce délay jusqu'au dernier jour, et s'il le faut même, ne pas jouer la pièce? Alors on ne pouroit donner la parodie; et ce temps que nous aurions serviroit nonseulement à prendre de nouvelles mesures, mais encor à faire de nouvaux changements pour l'hiver. Alors la pièce seroit presque nouvelle, et les Sloth qui sont prêts de réparer leur honneur en rajustant leurs décorations donneroient un nouvau cours et un nouveau prix à notre guenille qui auroit un plein triomphe tandis que peutêtre Catilina….
Mandez moy si vous jugez à propos que j'écrive à monsr le duc Daumont en conséquence, conduisez ma la tête et ma main, comme mon cœur.