à Cirey ce 11 janvier [1749]

Mes anges ont ils reçu une petite caisse de confitures de Bar qui doit leur être parvenue par le coche de Lorraine?
Je voudrois bien être arrivé avec les confitures mais il faut que madame du Chastelet règle ses affaires avec son fermier et que ses forges passent devant Semiramis. Je ne sçais pas quelles sont les choses essentielles dont il faut que je parle à monsieur de Richelieu. Il nous mande qu'il a proscrit pour jamais les parodies. Je ne sçai rien de plus essentiel pour le bon goust. Mes anges me reprochent de n'avoir pas suivi le mémoire de madame Dargental, mais je jure par leurs ailes que c'est précisément ce que j'ay fait dans mes derniers rappetassages.

A l'égard de la proposition de faire exclure un certain Assur du tombau, j'avoue qu'après en avoir tenté tous les moyens, j'ay trouvé la chose impraticable. Un vraisemblable froid et glaçant ne vaut pas un Colin Maillard vif et terrible. J'ay fait humainement tout ce que j'ay pu, et quand on est arrivé aux bornes de son talent il faut s'en tenir là; le public s'acoutumera vite au Colin Maillard du tombeau quand il sera touché du reste. Vous avez eu le courage de donner l'ouvrage avec cette idée hazardée. Il faut encore avoir la même intrépidité.

A L'égard des Sloth, il faudra sans doute les conduire. Nous serons à Paris sûrement dans quinze jours. J'auray eu le temps de tous revoir, de corriger, de mettre la pièce en état et de faire un dessein de décorations. Nous ne pourons donner Semiramis que la première semaine de carême. Ainsi rien ne nous gêne. Si même les Catilina et les comédies Larmoyantes occupoient longtemps le téâtre il n'y auroit pas grand mal à attendre pâques. Ce qui me donne le plus d'impatience c'est de revoir mes anges que je préfère à Semiramis, et à qui je suis si tendrement attaché. Madame du Chastellet leur fait les plus tendres compliments. Elle vient d'achever une préface de son Neuton, qui est un chef d'œuvre. Il n'y a personne à L'académie des sciences qui eût pu faire mieux. Cela fait honneur à son sexe et à la France. En vérité je suis saisi d'admiration. Valete angeli.