1748-09-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Monsieur le coadjudeur m'écrit une lettre bien éloquente et bien consolante sur Semiramis.
Victoire, victoire, mes chers anges. Vous avez triomphé des démons de la cabale. Je suis toujours résolu à ne la pas imprimer et à vouloir qu'on s'attende à L'impression, sans quoy on me jouera certainement le tour qu'on m'a déjà joué. Prévenez je vous en conjure les éditions que je crains, comme vous avez protégé les représentations. J'envoye une petite requête à Fontainebleau à M. le duc Daumont. Je le suplie d'ordonner que si on y joue Semiramis, nous ayons une nuit profonde pour L'ombre, que cette ombre ne soit plus un gros garçon jouflu à visage découvert, mais qu'on imite la statue du festin de Pierre avec une cuirasse. Comptez que cela fera un effet terrible. Il est aisé de faire la nuit, en éteignant toutes les bougies des coulisses, en faisant descendre un chassis épais derrière les lustres, et en baissant les lampions. Si Cindré vouloit se donner un peu de peine, on pouroit encor se tirer d'affaire à Fontainebleau. Il faudra absolument à la reprise que les Sloth réparent leur honneur. Il leur sera aisé de faire une très belle décoration. On m'a écrit quatre lettres anonimes du parterre dans les quelles on demande des décorations moins indignes de la pièce. Enfin voylà cette pièce en grâce, et on peut à la reprise luy donner une nouvelle vie. Vous ne sauriez croire à quel point vos bontez m'ont rendu Semiramis chère. Je L'aime plus que je croiois. Je vais tâcher d'y travailler, car il faut mériter tout ce que vous faites. Madame du Chastellet vous fait les plus tendres compliments. On ne respire icy que les plaisirs, et cependant je n'ay jamais été si fâché d'être loin de vous. Mes chers anges vous faites mon bonheur et ma gloire.

V.

Apropos j'implore la protection de Mr de Pondeveile pour des moyeux. Qu'il écrive un petit mot à M. de la Marche. C'est un point bien important.