à Lunéville ce 23 octb[1748]
Voicy encor mon cher et respectable amy un gros paquet de Babylone.
Mais àprésent le point essentiel est d'empêcher la parodie à la ville comme à la cour. J'ay lieu de penser que Mrde Montmartel m'ayant écrit de la part de madame de Pompadour, et m'ayant redit ses propres paroles, que le roy étoit bien éloigné de vouloir me faire la moindre peine, et que la parodie ne seroit certainement point jouée, j'ay lieu, di-je, de me flatter, que cette proscription d'un abus aussi pernicieux est pour Paris comme pour Versailles.
Je vais écrire dans cet esprit à M. Berrier et l'ordre du roy à Fontainebleau sera pour luy un nouvau motif de me marquer sa bienveillance, et une nouvelle facilité de faire entendre raison aux personnes qui pouroient favoriser encor la caballe qui s'est élevée contre moy: je suis fâché que m. le duc Daumont soit le seul qui ne réponde point à mes lettres, mais je n'en compte pas moins sur la fermeté et sur la chaleur de ses bons offices animée par votre amitié. Je vous demande en grâce de m'instruire de tout ce qui se passe sur cette affaire qui m'est devenue très essentielle.
La reine m'a fait écrire par madede Luines que les parodies étoient d'usage, et qu'on avoit travesti Virgile. Je réponds que ce n'est pas un compatriote de Virgile qui a fait l'Eneide travesti; que les Romains en étoient incapables; que si on avoit récité une Eneide burlesque à Auguste, et à Octavie, Virgile en auroit été indigné; que cette sottise étoit réservée à notre nation longtemps grossière, et toujours frivole; qu'on a trompé la reine quand on luy a dit que les parodies étoient encor d'usage, qu'il y a cinq ans qu'elles sont deffendues; que le téâtre françois entre dans l'éducation de tous les princes de l'Europe et que Gilles et Pierrot ne sont pas faits pour former l'esprit des descendans de stLouis. Au reste si j'ay écrit une capucinade, c'est à une capucine.b
Voicy mon divin ange une autre grâce que je vous demande. C'est de savoir au juste et au plus vite de melleQuinaut de quel remède elle s'est servie pour faire passer un énorme goetre dont elle s'est défaitte. Il y a icy une femme baucoup plus jolie qu'elle, qui a un cou extrêmement affligé de cette maladie, et vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinaut. Ajoutez cette grâce à tant d'autres bontez.
Tout ce que je vous dis est pour madame Dargental. Vous savez comme je vous adore tout deux par indivis.
Et mes moyeux? Ah monsieur de Pondeveile mes moyeux!
V.
ce 24
Je reçois votre lettre, et je vous fais de nouvaux remercimens des ordres que vous avez donnez à Sloth. Ils ont bien à réparer, et ils ont grand besoin d'être conduits par quelque homme qui entende l'effet des décorations. La grossiéreté et l'ineptie de leur exécution a servi baucoup à révolter le public qui s'attendoit à du merveilleux.
Le roy de Pologne qui avoit envoyé ma lettre à la reine, et qui en étoit très content a été fort piqué que nos adversaires aient prévalu auprès de la reine et que ce ne soit pas elle à qui j'aye l'obligation de la suppression de l'infamie. Les mêmes gens qui avoient fait la calomnie sur Zadig, ont continuée sous main leurs bons offices, et le roy de Pologne en est très instruit.bDites cela à l'abbé de Berni, et qu'il écrive à mede Pompadour pour la suppression de l'infamie à la ville comme à la cour.b
Je tâcheray mes anges de revenir à la fin de novembre, car j'ay besoin de vous dire combien je suis pénétré de tant de bontez. Mon dernier mémoire pour les comédiens ne doit être assurément présenté qu'à la dernière extrêmité. C'est ce que j'ay dit expressément, et ce n'est qu'une ressource pour attendre l'année de M. de Richelieu, mais la meilleure de toutes les ressources, c'est vous.
Je suppose que les comédiens tout négligens qu'ils sont ont fait usage des premiers mémoires.