1748-10-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je reçois la lettre de mon cher ange du 18.
Vous me dites mon cher et respectable amy que la prétention de Mrde m. est insoutenable, mais savez vous qu'en réponse à la lettre la plus respectueuse, la plus soumise et la plus tendre, il m'a mandé sèchement et durement qu'on joueroit la parodie à Paris et que tout ce qu'on pouvoit faire pour moy étoit d'attendre la suitte des premières représentations de ma pièce?Or cette suitte de premières représentations pouvant être regardée comme finie, on peut conclure de la lettre de M. de Maurepas que les italiens sont actuellement en droit de me bafouer, et s'ils ne le font pas, c'est qu'ils infectent encor Fontaineblau de leurs misérables farces faites pour la cour et pour la canaille.

M. le duc de Gesvres m'a mandé que les premiers gentilshomes de la chambre ne se mêloient pas des pièces qu'on joue à Paris. En effet la permission de représenter tel ou tel ouvrage a toujours été dévolue à la police, et peutêtre tout ce que peut faire un premier gentilhomme de la chambre, c'est de faire servir son autorité à intimider des faquins qui joueroient une pièce malgré eux, et à se faire obéir plutôt par menace que par droit.

Cependant ce que vous me mandez, et la confiance extrême que j'ay en vous me font suspendre mes démarches. J'allois envoyer une lettre très forte à madame de Pompadour, et même un placet au roy qui n'est pas assurément content àprésent de celuy qui me persécute. Je supprime tout cela, et je ne m'adresseray au maître que quand je serai abandonné d'ailleurs. Mais j'ay besoin de savoir à quoy je dois m'en tenir et jusqu'à quel point s'étendent les bontez et l'autorité de M. le duc de Fleury et de M. le duc d'Aumont. Je vous demande en grâce d'écrire sur cela promptement à M. le duc Daumont, et de me donner la réponse la plus positive sur la quelle je prendray mes mesures. Je serois très aise de ne pas importuner le roy pour de pareilles sottises, et que la fermeté de M. Daumont m'épargnast cet embarras, mais s'il y a la moindre indécision du côté des premiers gentilshomes de la chambre, vous sentez bien que je ne dois rien épargner, et que je ne dois pas en avoir le démenty.

Vous devez avoir reçu un gros paquet par M. de la Reiniere. En voicy un autre qui n'est pas de la même espèce. Je vous prie de donner au digne coadjuteur un panégirique. Je devrois faire le sien.

Il y en a un aussi pour l'abbé de Berni. Je n'ay point reçu la lettre dont vous m'aviez flatté de sa part, mais j'espère que s'il est nécessaire vous l'encouragerez à écrire bien patétiquement à mer de Pompadour contre les parodies en général et contre celle de Semiramis en particulier. Madame de Pompadour est très disposée à me favoriser, mais il ne faut rien négliger.

Madame du Chastellet promet plus qu'elle ne peut en parlant d'un voiage prochain. Je le voudrois mais je prévois qu'il faudra attendre près d'un mois.

Je travaille sous terre pour Mouhi, je vous prie de le luy dire. Grand mercy des moyeux. Adieu mes très aimables anges.